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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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Méthodologie - Dissertation
Comment faire une dissertation en philosophie (ou en culture générale) ?
 
  Avant toute chose, ce qu'il ne faut pas faire :

 

Ensuite, les choses sérieuses peuvent commencer :)


I. L'objectif premier : dégager une problématique
 
 
 Les sujets de dissertation de philosophie en terminale se présentent essentiellement sous la forme d'une question qui appelle une réponse par oui ou par non du type : "Peut-on désobéir à la loi ?" (c'est le sujet que nous prendrons comme exemple). Mais il existe aussi des sujets dont la réponse est une alternative : "La conscience est-elle source de liberté ou de contrainte ?"[1] Ces deux types de sujet ont en commun de proposer une seule alternative (il n'existe que deux réponses possibles à la question), entre les termes de laquelle vous aurez à faire un choix. Bien entendu, vous avez parfaitement le droit (et c'est même conseillé), de nuancer votre réponse : "Oui, mais sous certaines conditions…", "Non, sauf si…".
  Attention : dans les deux cas, il faut absolument éviter le plan de type thèse/antithèse/synthèse (oui/non ou non/oui puis oui et non...).
 
 L'exigence fondamentale de la dissertation philosophique est le dégagement de la problématique propre au sujet que vous avez à traiter. Mais qu'est-ce qu'une problématique ?
→ une problématique est l'ensemble des problèmes relatifs à une question, et qui empêchent de répondre à cette question. Autrement dit, c'est l'ensemble des problèmes auxquels vous allez inévitablement être confronté si vous voulez donner une réponse claire et précise à la question posée.
 
Question : comment trouver une problématique ?
 
1. Clarifier les termes du sujet
 
 La signification des mots figurant dans l'énoncé du sujet doit retenir d'abord votre attention. Que veut dire, de manière précise, tel concept sur le plan littéraire, philosophique, éventuellement scientifique ? Les mots peuvent en effet être polysémiques (avoir plusieurs sens), et cette variation de leur sens peut donner une tout autre signification au sujet. La forme de l'énoncé peut elle aussi être ambiguë. Par exemple le sujet : "Peut-il y avoir un jugement de l'histoire ?" peut se comprendre, suivant la valeur donnée à la préposition "de" (génitif objectif ou génitif subjectif) comme : "Peut-on juger l'histoire ?" ou comme : "L'histoire peut-elle juger ?"
  Vous devez donc parvenir à une ou plusieurs formulations du sujet sans ambiguïté (attention cependant, reformuler le sujet ne signifie pas qu'on l'ait problématisé). Pour cela, plusieurs outils sont à votre disposition :
-         l'étymologie (si on la connaît)
-         les synonymes possibles, tout en songeant aux nuances qui séparent les différentes valeurs impliquées dans les mots
-         les termes apparentés avec lesquels on pourrait faire des relations
-         l'opposé quand le terme possède un contraire
-         les expressions communes du langage qui utilisent le mot dans une sens assez proche du sujet.
  Ainsi, le terme de "loi" renvoie au moins à trois sens distincts. La loi, c'est tout d'abord une règle établie par les hommes, souverains ou législateurs, pour le maintien et l'organisation de la société (loi juridique). C'est ensuite, dans le sens moral, la règle de notre activité libre selon laquelle on est sollicité à agir conformément à la raison droite (loi morale). Enfin, la loi c'est l'expression des rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses, chacune des règles auxquelles sont assujettis les phénomènes de la nature (loi scientifique, ou loi de la nature). Or, suivant le sens retenu, l'énoncé n'a évidemment pas le même sens.
  Se demander si on peut désobéir à la loi scientifique, c'est se demander si l'être humain est assujetti, comme chaque chose dans la nature, à l'ensemble des lois de la nature (en d'autres termes si le comportement des hommes peut se réduire aux lois physico-chimiques).
  Dans un autre sens, se demander si l'on peut désobéir à la loi juridique, c'est questionner la légitimité de ce qu'on appelle la désobéissance civile, et donc réfléchir sur l'idée de justice, sur ce qui est juste ou pas (doit-on obéir à une loi manifestement injuste, au nom de quoi peut-on juger qu'une loi est juste ou injuste, etc. ?). On voit donc que suivant le domaine de réflexion, la problématique n'est pas du tout la même, et il apparaît difficile de traiter dans un même devoir les deux aspects de la question. Par conséquent, un choix s'impose que vous devez justifier. Ici, le problème de la loi juridique (auquel on peut adjoindre celui de la loi morale) semble plus fondamental, de sorte que c'est lui qui doit retenir votre attention, même si vous devez montrer que vous avez aperçu l'autre aspect du sujet.
  De la même façon, l'expression "peut-on" désigne soit une capacité, une faculté (le "können" allemand), soit une permission, une autorisation (le "dürfen" allemand). L'énoncé peut donc se comprendre de deux façons : "A t-on la capacité de désobéir à la loi ?", ou "A t-on le droit de désobéir à la loi ?". Le premier énoncé ne possédant que peu d'intérêt (tout le monde possède en effet la capacité d'enfreindre la loi au sens juridique), on peut en déduire que c'est le second sur lequel doit porter la réflexion.
  Attention : clarifier les termes de base ne signifie pas que l'on doive examiner chaque terme individuellement, tous les termes n'ayant pas la même importance. Ainsi, il est inutile de s'interroger sur les différents sens du verbe "désobéir" puisque ces sens sont logiquement liés au sens donné au mot "loi". De même, il y a des sujets qui n'ont pas besoin d'être clarifiés par une reformulation, car leur formulation est claire et dénuée d'ambiguïté.
 
 Tout ce travail de clarification doit alors vous amener à élucider la signification du sujet posé. Ici, la question retenue est donc : "A t-on le droit de désobéir à la loi juridique ou morale ?"
 
-         Le sujet contient-il des présupposés ?
 
  Il peut être aussi intéressant de voir si le sujet contient un ou plusieurs présupposés.
  Ex. : "La liberté n'est-elle qu'une illusion ?""La liberté est-elle une illusion ?" Dans le premier cas, la question contient un présupposé qui est que la liberté est une illusion, et il s'agit alors de savoir si elle n'est que cela. Dans le deuxième sujet, la question est entièrement ouverte, elle ne contient pas de présupposé.
 
2. Construire la problématique
 
  L'analyse des termes du sujet doit ensuite vous conduire à analyser soigneusement les problèmes soulevés par le sujet, problèmes qui ne se réduisent pas à la question posée (autrement dit, la question posée n'est pas un problème ; elle entraîne des problèmes).
 
Mais qu'est-ce qu'un problème ?
 
  Etymologiquement, un problème (du latin problema, "problème, question à résoudre", lui-même issu du grec ancien próblema, "obstacle"), c'est un obstacle, quelque chose qui nous empêche d'avancer, de faire ce que l'on veut faire. Dans le cadre d'une dissertation, un problème, c'est ce qui nous empêche de répondre à la question posée. Il ne faut donc pas confondre une question et un problème.
  Prenons par exemple la question : "Quelle heure est-il ?". Cette question reste une simple question si j'ai une montre à mon poignet ou un téléphone portable dans ma poche, et que je peux y répondre immédiatement. Mais elle devient un problème si je n'ai aucun moyen de connaître l'heure qu'il est (je devrai alors me demander comment résoudre ce problème, c'est-à-dire trouver un moyen de savoir l'heure qu'il est).
 
  Dans le cadre de la dissertation, ce n'est qu'une fois compris les concepts, les éventuels paradoxes du sujet, qu'il vous est possible d'établir une problématique. Pour ce faire, vous devez montrer que les réponses immédiates à la question entraînent des conséquences dont on ne veut pas (ce sont ces conséquences dont on ne veut pas qui constituent les fameux problèmes, qui nous empêchent de répondre à la question posée).
 
 Ainsi, dans l'exemple étudié, répondre "oui" semble introduire une contradiction dans la mesure où la loi énonce une obligation, un devoir ; elle doit être obéie. On voit donc que l'idée d'un droit de désobéissance à la loi nie le concept même de loi (ici, la contradiction est un problème, car un discours logique ne doit pas se contredire). Inversement, répondre "non" implique qu'on ne puisse jamais désobéir à la loi. Que faire alors des lois qui ont cours dans les régimes dictatoriaux, totalitaires, voire des lois qui apparaissent, même dans les régimes démocratiques, manifestement injustes (qui vont par exemple à l'encontre de la liberté de pensée) ou inutiles ? (
 Pour plus de facilité, vous pouvez construire votre problématique sous forme de tableau :
 
 
Oui, on a le droit de désobéir à la loi
 
 
Non, on n'a pas le droit de désobéir à la loi
 
Problème : la loi est une règle à laquelle on doit obéir. Dire qu'on a le droit de désobéir à la loi apparaît donc contradictoire (avoir le droit ≠ devoir)
 
Problèmes : 1. Que faire si une loi morale s'oppose à une loi juridique ? Autrement dit, que faire si une loi en vigueur vient contredire notre sentiment de justice ?
2. Que faire si une loi vient contredire une loi de même nature (si elle est contraire à la constitution par exemple) ?
 
 
  Face à ces deux problèmes qui sont spontanément soulevés, l'enjeu propre au sujet semble donc être de savoir s'il n'est pas possible de désobéir aux lois particulières d'un État, conventionnelles et donc à caractère relatif, au nom d'une norme supérieure, qui permettrait de juger de la légitimité de celles-ci (dans ce cas laquelle ?). Autrement dit, n'existe t-il pas deux niveaux distincts du droit, un droit particulier à chaque société, et un droit universel, naturel ou découlant de ce qu'on appelle les "droits de l'Homme" ?
  Une fois dégagée la problématique, il faut construire le plan de votre devoir de manière à résoudre de façon progressive et argumentée l'ensemble des problèmes que vous avez soulevés, et parvenir ainsi à répondre à la question posée.
 
II. L'organisation du devoir
 
 
1. L'introduction
 
 Elle a pour objet de retenir l'attention du lecteur et de lui faire comprendre votre démarche ; elle est décisive car elle doit lui prouver que le sujet a été bien compris. C'est elle qui doit mettre en évidence l'enjeu du sujet, et qui tente de dégager la problématique ne figurant pas en toute lettres dans l'énoncé mais, néanmoins, contenue implicitement en lui. Pour vous aider à la structurer, vous pouvez adopter la démarche suivante :
 
  1. Introduire le sujet (= entrée en matière), par exemple en utilisant une citation, une référence littéraire ou philosophique, ou plus simplement un fait historique ou d'actualité. Le seul critère retenu doit être la pertinence de votre entrée en matière : que penser par exemple de la destruction récente par des militants "altermondialistes" d'un champ de cultures transgéniques, acte manifeste de désobéissance à la loi ?
  2. Citer l'énoncé du sujet en entier.
  3. Faire apparaître de façon claire et interrogative la problématique que vous avez préalablement dégagée. Pour ce faire, il faut essayer de donner des réponses immédiates à la question posée et montrer par des objections que ces réponses demandent à être justifiées plus longuement.
  4. Annoncer le plan de votre dissertation. Celui-ci doit montrer comment vous allez procéder pour répondre à la question posée.
 
2. Le développement du devoir
 
 Le développement philosophique doit se présenter sous forme de discussion, c'est-à-dire sous forme de débat d'échanges d'arguments et de vues contradictoires. C'est la dynamique de la pensée qui forme le noyau de la dissertation en philosophie. Vous devez montrer quels sont les problèmes inhérents à telle ou telle thèse, à telle ou telle solution apportée afin d'essayer de les résoudre.
 
 Qu'en est-il des exemples ? Vous devez apprendre à en faire bon usage. Si le travail sur les distinctions conceptuelles doit primer, l'exemple, néanmoins, fournit une illustration imagée à un raisonnement, auquel il donne plus d'intensité. Attention toutefois, si la force des exemples réside dans leur faculté de persuasion, leur faiblesse réside quand à elle dans leur particularité et donc leur relativité. N'oubliez jamais qu'un raisonnement peut être général (c'est d'ailleurs son but), mais qu'un exemple est toujours particulier.
 
 Qu'en est-il des références philosophiques (ou plus généralement de culture générale) et de leur usage dans la dissertation ? Elles ne doivent jamais "fonctionner à vide", c'est-à-dire que vous ne devez pas réciter thèses et doctrines sans les rapporter de façon pertinente au sujet. On se moque de savoir ce qu'ont dit Kant ou Spinoza sur la liberté. Par contre, ces auteurs ont pris le temps de réfléchir à des problèmes relatifs à cette notion, et d'y apporter leur propre réponse. Ce n'est que si ces problèmes sont ceux auxquels vous êtes vous-même confronté, qu'il vous est bénéfique d'utiliser leur réflexion. Référez-vous donc aux philosophes, mais avec discernement.
 
 L'écueil à éviter : le hors-sujet. Veillez à traiter le sujet et uniquement le sujet, autrement dit n'essayez pas d'y rattacher d'autres réflexions, peut-être mieux connues de vous mais qui n'ont qu'un rapport lointain avec la question posée. Posez-vous toujours cette question : "Suis-je en train de répondre au sujet ?"
 
3. La conclusion
 
 Elle doit vous permettre de répondre de manière claire et précise à la problématique dégagée dans l'introduction, et donc au sujet. Vous devez pour cela résumer les étapes de votre raisonnement (la façon dont vous avez résolu l'ensemble des problèmes posés), les acquis de votre réflexion, lesquels vous ont amené à formuler votre réponse.
 Il n'est pas utile d'ouvrir (je conseille même de ne pas le faire) sur une nouvelle perspective (= pas de question d'ouverture !). Vous pouvez très bien modestement en rester au point final et clore le débat ouvert par la question et le problème (terminez votre copie par une réponse claire et précise à la question posée).
 

[1] Il existe des sujets dont la réponse est ouverte : "Que faut-il respecter ?" Mais ces sujets se font de plus en plus rares dans les épreuves du bac, et comme leur traitement est sensiblement plus difficile, nous n'en parlerons pas ici.

 


Date de création : 13/01/2010 @ 15:27
Dernière modification : 08/11/2017 @ 18:33
Catégorie : Méthodologie
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