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Hors des sentiers battus
Oeuvres d'art et objets techniques

  "L'architecture, c'est avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants. L'architecture est au-delà des choses utilitaires. L'architecture est chose de plastique. Esprit d'ordre, unité d'intention. La passion fait des choses inertes un drame. […]

  On met en œuvre de la pierre, du bois, du ciment ; on en fait des maisons, des palais ; c’est de la construction. L'ingéniosité travaille.

  Mais, tout à coup, vous me prenez au cœur, vous me faites du bien, je suis heureux, je dis : c’est beau. Voilà l’architecture. L'art est ici.

  Ma maison est pratique. Merci, comme merci aux ingénieurs des chemins de fer et à la Compagnie des Téléphones. Vous n'avez pas touché mon coeur.

  Mais les murs s'élèvent sur le ciel dans un ordre tel que j'en suis ému. Je sens vos intentions. Vous étiez doux, brutal, charmant et digne. Vos pierres me le disent. Vous m'attachez à cette place et mes yeux regardent. Mes yeux regardent quelque chose qui énonce une pensée. Une pensée qui s'éclaire sans mots ni sons, mais uniquement par des prismes qui ont entre eux des rapports. Ces prismes sont tels que la lumière les détaille clairement. Ces rapports n'on trait à rien de nécessairement pratique ou descriptif. Ils sont une création mathématique de votre esprit. Ils sont le langage de l'architecture. Avec des matériaux inertes, sur un programme plus ou moins utilitaire que vous débordez, vous avec établi des rapports qui m'ont ému. C'est l'architecture."

 

Le CorbusierVers une architecture, 1923, éd. G. Crès, 1924, pp. 121-123.



  "Une oeuvre d'art n'est pas toujours créée dans le but exclusif de procurer un plaisir, ou pour employer une expression plus philosophique, pour être esthétiquement perçue. « La fin de l'art est la délectation » : cette maxime de Poussin [1] avait une portée révolutionnaire ; car les écrivains d'alors avaient toujours insisté sur l'idée que l'art, quelque plaisir qu'on y pût prendre, était aussi en quelque façon utile. Mais toujours une oeuvre d'art possède une signification esthétique (à ne pas confondre avec la valeur esthétique) : qu'elle ait ou non servi une intention pratique, et qu'elle soit bonne ou mauvaise, elle demande à être esthétiquement perçue.
  Il est possible de percevoir tout objet, naturel ou créé par l'homme sur le mode esthétique. Nous le faisons pour parler en termes aussi simples qu'il est possible, quand nous nous en tenons à le regarder (ou à l'écouter) sans aucune référence (intellectuelle ou émotive) à quoi que ce soit d'extérieur à lui. Quand on regarde un arbre en charpentier, on lui associera les divers usages qu'on peut faire de son bois ; en ornithologue, on lui associera les oiseaux qui peuvent y nicher. Quand à une course de chevaux un joueur observe l'animal sur lequel il a misé, il associera à sa performance le désir qu'il a de le voir gagner. Seul celui qui s'abandonne simplement et tout entier à l'objet de sa perception le perçoit esthétiquement.
  Mais il faut distinguer : en face d'un objet naturel, il dépend de nous seuls que nous choisissions ou non de le percevoir esthétiquement. Un objet crée de main d'homme au contraire, sollicite ou ne sollicite pas une telle perception - il est investi, disent les philosophes, d'une intention. Si je choisissais, comme il m'est loisible de le faire, de percevoir esthétiquement un feu rouge réglant la circulation, au lieu de l'associer à l'idée d'appuyer sur mon frein, j'agirais contre l'intention des feux rouges.
  Les objets créés de main d'homme qui ne sollicitent pas une perception d'ordre esthétique sont communément appelés « pratiques ». On peut les répartir en deux classes - les véhicules d'information et les outils ou appareils. Un véhicule d'information a pour « intention » de transmettre un message. Un outil ou appareil a pour intention de remplir une fonction (fonction qui, à son tour, peut consister à produire ou transmettre des informations, comme c'est le cas pour une machine à écrire, on pour le feu rouge dont je parlais).
  La plupart des objets qui sollicitent une perception d'ordre esthétique, c'est-à-dire des oeuvres d'art, relèvent aussi de l'une ou de l'autre de ces deux classes. Un poème ou une peinture d'histoire est, en un sens, un véhicule d'information ; le Panthéon et les candélabres de Milan sont, en un sens, des appareils, et les tombeaux que Michel-Ange sculpta pour Laurent et Julien de Médicis sont, en un sens, l'un et l'autre. Mais j'ai dit « en un sens » et cela fait la différence. Dans le cas d'un « simple véhicule d'information », ou d'un « simple outil ou appareil », l'intention est attachée une fois pour toutes à l'idée du travail à fournir : le sens qu'il faut transmettre, la fonction qu'il faut remplir. Dans le cas d'une oeuvre d'art, l'intérêt porté à l'idée est contrebalancé, peut-être même éclipsé, par l'intérêt porté à la forme."

 

Erwin Panovsky, L'oeuvre d'art et ses significations (1955), 1ère partie, traduit de l'allemand par B. et M. Teyssèdre, Éd. Gallimard, 1969, pp. 38-39.


[1] Peintre français (1612-1665).

 

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Date de création : 14/01/2010 @ 17:16
Dernière modification : 03/06/2011 @ 18:22
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