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Texte à méditer :   Le progrès consiste à rétrograder, à comprendre [...] qu'il n'y avait rien à comprendre, qu'il y avait peut-être à agir.   Paul Valéry
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Hors des sentiers battus
La cure analytique et sa technique

  "Breuer m'avait communiqué, avant même que je n'allasse à Paris, ses observations sur un cas d'hystérie, qu'il avait traité de 1880 à 1882 par un procédé spécial, ce qui lui avait permis d'acquérir des aperçus profonds sur l'étiologie et sur la signification des symptômes hystériques. […]
  La patiente qu'avait eue Breuer était une jeune fille douée d'une culture et d'aptitudes peu communes, tombée malade pendant qu'elle soignait un père tendrement aimé. Quand Breuer entreprit de s'occuper de son cas, elle présentait un tableau clinique bigarré de paralysies avec contractures, d'inhibitions et d'états de confusion mentale. Une observation fortuite permit au médecin de s'apercevoir qu'on pouvait la délivrer de l'un de ces troubles de la conscience quand on la mettait à même d'exprimer verbalement le fantasme affectif qui la dominait à ce moment. Une méthode thérapeutique résulta pour Breuer de cette observation. Il plongeait sa malade en une hypnose profonde et la laissait chaque fois raconter ce qui oppressait son âme. Après que les états de confusion dépressive eurent ainsi disparu, Breuer employa la même méthode afin de lever les inhibitions et de délivrer la malade de ses troubles corporels. À l'état de veille, la jeune fille n'aurait pu dire – en ceci semblable aux autres malades – comment ses symptômes avaient pris naissance et ne trouvait aucun lien entre eux et une impression quelconque de sa vie. En état d'hypnose, elle découvrait aussitôt les rapports cherchés. Il se révéla que tous ces symptômes remontaient à des événements l'ayant impressionnée vivement, survenus au temps où elle soignait son père malade ; ces symptômes avaient donc un sens et correspondaient à des reliquats ou réminiscences de ces situations affectives. D'ordinaire les choses s'étaient passées ainsi : elle avait dû réprimer, au chevet de son père, une pensée ou une impulsion à la place de laquelle, comme son représentant, était plus tard apparu le symptôme. En règle générale, le symptôme n'était pas le précipité d'une seule de ces scènes « traumatiques », mais le résultat de la sommation d'un grand nombre de situations analogues. Quand la malade se souvenait hallucinatoirement pendant l'hypnose d'une telle situation et réussissait à accomplir ainsi après coup l'acte psychique autrefois réprimé en extériorisant librement l'affect, le symptôme était balayé et ne reparaissait plus. C'est par cette méthode que Breuer réussit, après un long et pénible travail, à délivrer sa malade de tous ses symptômes."

 

Sigmund Freud, Ma vie et la psychanalyse, 1925, II,  tr. fr. Marie Bonaparte, Gallimard idées, 1972, p. 26-27.


 

  "La malade du Dr Breuer était une jeune fille de vingt et un ans, très intel­ligente, qui manifesta au cours des deux années de sa maladie une série de troubles physiques et mentaux plus ou moins graves. Elle présenta une con­tracture des deux extrémités droites avec anesthésie ; de temps en temps la même affection apparaissait aux membres du côté gauche; en outre, trouble des mouvements des yeux et perturbations multiples de la capacité visuelle ; difficulté à tenir la tête droite; toux nerveuse intense, dégoût de toute nourri­ture et, pendant plusieurs semaines, impossibilité de boire malgré une soif dévorante. Elle présentait aussi une altération de la fonction du langage, ne pouvait ni comprendre ni parler sa langue maternelle. Enfin, elle était sujette à des « absences », à des états de confusion, de délire, d'altération de toute la personnalité […]
  Bien que tout d'abord [Breuer] fût incapable de soulager sa malade, il ne lui refusa ni sa bienveillance ni son intérêt. Sans doute sa tâche fut-elle facilitée par les remarquables qualités d'esprit et de caractère dont elle témoigna. Et la façon sympathique avec la­quelle il se mit à l'observer lui permit bientôt de lui porter un premier secours.
  On avait remarqué que dans ses états d'absence, d'altération psychique avec confusion, la malade avait l'habitude de murmurer quelques mots qui semblaient se rapporter à des préoccupations intimes. Le médecin se fit répéter ces paroles et, ayant mis la malade dans une sorte d'hypnose, les lui répéta mot à mot, espérant ainsi déclencher les pensées qui la préoccupaient. La malade tomba dans le piège et se mit à raconter l'histoire dont les mots murmurés pendant ses états d'absence avaient trahi l'existence. C'étaient des fantaisies d'une profonde tristesse, souvent même d'une certaine beauté - nous dirons des rêveries - qui avaient pour thème une jeune fille au chevet de son père malade. Après avoir exprimé un certain nombre de ces fantaisies, elle se trouvait délivrée et ramenée à une vie psychique normale. L'amélioration, qui durait plusieurs heures, disparaissait le jour suivant, pour faire place à une nouvelle absence que supprimait, de la même manière, le récit des fantaisies nouvellement formées. Nul doute que la modification psychique manifestée pendant les absences était une conséquence de l'excitation produite par ces formations fantaisistes d'une vive tonalité affective. La malade elle-même qui, à cette époque de sa maladie, ne parlait et ne comprenait que l'anglais, donna à ce traitement d'un nouveau genre le nom de talking cure".


Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1908, trad. Y. Le Lay, Payot, 1973, p. 8 et p. 10-11.



  "[Le procédé de la cure analytique] est facile à décrire, mais son application exige de l'acquis et de l'habileté. Supposons que l'on ait affaire à un malade atteint d'idée d'angoisse. On l'invitera à fixer son attention sur cette idée, non pas, comme il l'a fait à d'autres moments, pour y rêver, mais pour en scruter clairement toutes les faces et faire part au médecin, sans restriction, de toute ce qui lui viendra à l'esprit. Le malade, le plus souvent, commence par répondre que son attention est incapable de rien saisir. Il faut le démentir et affirmer énergiquement qu'il est impossible que les images fassent défaut. Et, de fait, on verra bientôt se produire une foule d'idées et d'associations d'idées ; mais elles seront régulièrement précédées d'une remarque du patient qui les déclarera absurdes ou insignifiantes, ou bien prétendra qu'elles lui sont venues à l'esprit par hasard sans que rien les rattache au thème proposé. On s'aperçoit alors que c'est précisément cette autocritique qui a empêché le malade d'extérioriser ses images ou même d'en prendre conscience. Si l'on peut obtenir de lui que, renonçant à critiquer ses idées, il continue simplement à énoncer touts les associations qu'un effort soutenu d'attention lui fera venir à l'esprit, on obtient un matériel psychique qui est en relation directe avec l'idée morbide primitive, qui permet de découvrir les associations existant entre cette idée et la vie psychique du malade, et grâce auquel le médecin finira par substituer à l'idée morbide une idée nouvelle exactement adaptée aux exigences psychologiques de son client."

 

Freud, Le rêve et son interprétation, 1901, tr.fr. Hélène Legros, Folio essais, 1985, p. 13-15.



  "Il importe peu, en somme, que le traitement débute par tel ou tel sujet, que le patient raconte sa vie, les épisodes de sa maladie ou rapporte ses souvenirs infantiles. En tout cas, il faut laisser parler le malade et lui abandonner le choix de son sujet du début. Disons-lui donc : « Avant que je puisse vous expliquer quoi que ce soit, il faut que vous me renseigniez ; racontez-moi, je vous prie, ce que vous savez sur vous-même. »
  La seule exception permise concerne la règle psychanalytique fondamentale à laquelle le patient doit obéir. Il faut, dès le début, faire connaître cette règle à l'analysé : « Une chose encore avant que vous commenciez. Votre récit doit différer, sur un point, d'une conversation ordinaire. Tandis que vous cherchez généralement, comme il se doit, à ne pas perdre le fil de votre récit et à éliminer toutes les pensées, toutes les idées secondaires qui gêneraient votre exposé et qui vous feraient remonter au déluge, en analyse vous procéderez autrement. Vous allez observer que, pendant votre récit, diverses idées vont surgir, des idées que vous voudriez bien rejeter parce qu'elles ont passé par le crible de votre critique. Vous serez tenté de vous dire : « Ceci ou cela n'a rien à voir ici » ou bien « telle chose n'a aucune importance » ou encore « c'est insensé et il n'y a pas lieu d'en parler ». Ne cédez pas à cette critique et parlez malgré tout, même quand vous répugnez à le faire ou justement à cause de cela. Vous verrez et comprendrez plus tard pourquoi je vous impose cette règle, la seule d'ailleurs que vous deviez suivre. Donc, dites tout ce qui vous passe par l'esprit. Comportez-vous à la manière d'un voyageur qui, assis près de la fenêtre de son compartiment, décrirait le paysage tel qu'il se déroule à une personne placée derrière lui. Enfin, n'oubliez jamais votre promesse d'être tout à fait franc, n'omettez rien de ce qui, pour une raison quelconque, vous paraît désagréable à dire »"

 

Sigmund Freud, "Le début du traitement", 1913, tr. fr. Anne Berman, in La technique psychanalytique, PUF, 1970, p. 94-95.



  "Le traitement psychanalytique ne comporte qu'un échange de paroles entre l'analysé et le médecin. Le patient parle, raconte les évènements de sa vie passée et ses impressions présentes, se plaint, confesse ses désirs et ses émotions. Le médecin s'applique à diriger la marche des idées du patient, éveille ses souvenirs, oriente son attention dans certaines directions, lui donne des explications et observe les réactions de compréhension ou d'incompréhension qu'il provoque ainsi chez le malade. 
  L'entourage inculte de nos patients, qui ne s'en laisse imposer que par ce qui est visible et palpable, de préférence par des actes tels qu'on en voit se dérouler sur l'écran du cinématographe, ne manque jamais de manifester son doute quant à l'efficacité que peuvent avoir de « simples discours », en tant que moyen de traitement. Cette critique est peu judicieuse et illogique. Ne sont-ce pas les mêmes gens qui savent d'une façon certaine que les malades « s'imaginent » seulement éprouver tels ou tels symptômes ? 

  Les mots faisaient primitivement partie de la magie, et de nos jours encore le mot garde encore beaucoup de sa puissance de jadis. Avec des mots un homme peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir, et c'est à l'aide de mots que le maître transmet son savoir aux élèves, qu'un orateur entraîne ses auditeurs et détermine leurs jugements et décisions. Ne cherchons donc pas à diminuer la valeur que peut présenter l'application de mots à la psychothérapie et contentons nous d'assister en auditeurs à l'échange de mots qui à lieu entre l'analyste et le malade."
 

Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, 1917, "Introduction", trad. S. Jankélévitch, Payot, 1987, p. 7-


 

 "On ne peut jamais se tromper, l'enfant nous parle pour être entendu, beaucoup plus encore qu'une grande personne. Par exemple un monsieur et une dame sont venus avec une petite qui devenait complètement bizarre. Elle avait deux ans et demi et elle s'était arrêtée de parler trois semaines avant leur venue. Ils m'ont raconté ça devant l'enfant qui ne parlait pas, bien sûr. Elle jouait dans un endroit du cabinet où il y a des objets. Je dis à l'enfant : « Tu vois, tes parents sont inquiets. Tu parlais et tu ne parles plus. Il s'est passé quelque chose et personne n'y comprend rien. Mais toi tu sais. » Ce qui est vrai. Alors la mère dit : « Il s'est peut-être passé quelque chose. » Depuis un mois, la petite fille avait entendu dire que sa mère était enceinte, et elle ne parlait plus. Mais personne n'y avait fait attention. Je dis à la petite : « Tu vois, ta maman est en train de dire que tu t'es arrêtée de parler quand elle a été sûre qu'elle attendait un bébé. Il y a un bébé dans le ventre de ta maman et ton père et ta mère sont très contents. » Elle regarda son père et sa mère et alla fouiller dans le panier. Elle trouva parmi des jouets, poupées, baigneurs, un baigneur affreux et délabré. Laissant tout le reste, elle l'amena pour le faire passer du siège de son père au ventre de sa mère. On continuait à parler et je voyais comment l'enfant « parlait ». Elle fit tomber le baigneur entre les jambes de la mère, par terre. Alors je lui dis : « Le bébé que porte ta mère, il n'est pas grand comme .ce bébé-là, il est encore tout petit comme toi quand tu commençais dans le corps de ta mère, de former ton corps à toi, et puis tu es née et on a su que tu étais toi, une fille. Le bébé que ta mère porte en elle a été conçu comme toi par ton père et ta mère ensemble. » Elle me regarda et elle remit le bébé par terre... Alors, là j'ai senti qu'on touchait quelque chose. Je dis : « Peut-être que je me trompe, mais on dirait que votre fille veut parler d'un autre enfant... N'auriez-vous pas fait une fausse couche entre elle et cette grossesse actuelle ? » La dame regarda son mari, elle sourit. « C'était peut-être une IVG ? », lui dis-je. « Mais comment est-ce que ma fille la su ? ».
 La mère avait fait une IVG quand l'enfant avait trois ou quatre mois et elle se sentait coupable jusqu'au moment de cette dernière certitude de grossesse, celle-ci désirée. Depuis cette fausse couche, décidée par raison, si près de la naissance de la petite aînée, elle désespérait d'avoir un enfant, elle se sentait coupable d'avoir fait une IVG. Cette femme croyait que le ciel la punirait, qu'elle n'aurait jamais d'autre enfant. Au début de cette troisième grossesse, elle tremblait de ne pas la mener à terme. C'est l'angoisse de la mère que cette enfant avait ressentie. Angoisse qui n'a jamais été dite, mais qui faisait partie du climat de relation jusqu'à il y a deux mois entre la mère et son enfant. Puis, oubliée, l'angoisse pour cette mère de voir la certitude de son bonheur tout d'un coup d'avoir un autre enfant. C'était tellement insolite pour cette enfant qu'elle ne pouvait passer d'un registre affectif à l'autre, qu'en mimant l'enfant issu des entrailles de sa mère. Il y avait un hiatus dans les paroles qui avait à être mimé. Les enfants sentent tout, ils savent tout et ont besoin de mots pour humaniser ce savoir. Je m'adresse à l'enfant : « Merci pour ce que tu nous a dit, ça a permis à ta maman de dire combien elle croyait qu'elle avait été coupable, mais tu sais, elle attend un autre bébé, et celui-là, elle et ton père sont heureux de l'attendre ». La petite dit alors haut et claire : « Tu viens, Papa, on s'en va », à la stupéfaction de ses parents venus consulter pour sa mutité."
 
Françoise Dolto, Extrait de la revue Esprit, Août 1982.


  "Ce qui est intéressant dans le temps de la psychanalyse, c'est qu'il s'inscrit résolument à l'encontre du temps de l'urgence. De cette temporalité longue de la psychanalyse, avec son long et difficile travail d'allers-retours entre le présent et le passé et le caractère parfois « interminable » de la cure, notre écriture portera certainement la trace. […]
  Le temps de la psychanalyse, disions-nous, s'inscrit lux antipodes de l'urgence. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, une personne en état de crise psychique très aiguë a moins besoin d'une cure psychanalytique que de modes d'intervention beaucoup plus immédiats, médicamenteux entre autres, pour surmonter le moment de la crise, quitte éventuellement, après, à se tourner vers la psychanalyse pour travailler sur le long terme les éléments de sa vie ayant pu conduire à cet état de crise. Une anecdote relatée le psychanalyste François Duparc reflète bien cette antinomie complète entre le temps de la psychanalyse et celui de notre société, immédiate à elle-même : « Il y a quelque temps, écrit-il, amené à réfléchir sur la publicité comme voie royale pour analyser les idéologies et les souffrances de la société contemporaine, je me suis arrêté sur un slogan qui m'a fait rêver : "No speed limits", disait l'affiche ; pas de limites à la vitesse dans le désir moderne de la technique et de la science. Une image répondait à ce texte, évoquant la suppression du temps grâce aux moyens informatiques modernes. Représentant un chronomètre déchiré en deux sur une photo, elle m'évoquait la déchirure dont souffre notre génération dans son horizon temporel, entre passé et futur. Une fois de plus, l'antinomie du temps des médias (publicité, télévision, actualités) et du temps pour la psychanalyse m'apparaissait à nu. » Et, de fait, la psychanalyse est vraiment un mode thérapeutique sous-tendu par une temporalité à long terme, une thérapie qui travaille le plus clairement dans le temps et avec le temps, un temps long à la mesure de la vie de l'individu, un temps qui se décline sous toutes ses formes et met en jeu toutes les modalités de relation, tout le vécu subjectif de l'analysant au passé, au présent, et même à l'avenir."

 

Nicole Aubert, Le culte de l'urgence. La société malade du temps, 2003, Champs essais, 2009, p. 287-288.

 

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Date de création : 21/01/2010 @ 11:53
Dernière modification : 26/03/2017 @ 14:18
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