"Toutes mes idées me sont éternellement présentes ; la pensée en acte que le regard de ma conscience éclaire, et semble isoler par là-même, en réalité les contient toutes également en acte, et entretient avec elles mille rapports que seule discerne une analyse attentive. Dans la moindre ligne que j'écris, dans la plus insignifiante des phrases que je prononce ; se retrouve l'influence de tous les livres que j'ai lus, et dont je n'e pourrais même dire le titre, de toutes les paroles que j'ai entendues, de toutes les pages que j'ai moi-même écrites : tous ces éléments, demeurés en moi inséparables les uns des autres, constituent par leur pénétration mutuelle et leur continuité ce fonds permanent de l'intelligence qui s'appelle le tour d'esprit. L'idéalisme critique résout donc l'énigme de l'inconscient comme celle du souvenir. Dans la conscience présente, en tant qu'elle est riche de la totalité de notre expérience, en tant qu'elle est animée par l'activité ordonnatrice de la raison, il trouve de quoi constituer la vérité certaine, et fonder ainsi la réalité, du passé. De même, s'il affirme à juste titre la priorité chronologique de l'inconscient, c'est parce qu'il l'affirme à titre de relation, suggérée par la conscience et qui ne commence à exister qu'à partir du moment où la conscience s'est démontrée à elle-même la nécessité de ce moment explicatif. L'inconscient est donc dépassé, dès qu'il est découvert : lux seipsam et tenebras manifestat. (La lumière révèle à la fois la clarté et les ténèbres.)"
Léon Brunschvicg, Écrits philosophiques, Tome 2 : L'orientation du rationalisme, Troisième partie : L'idéalisme critique, 1954.
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