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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
L'autre comme objet de désir

  "Supposons même que, au moment où ceux qui s’aiment reposent sur la même couche, Héphaïstos se dresse devant eux avec ses outils, et leur demande : « Que désirez-vous, vous autres, qu’il vous arrive l’un par l’autre ? » Supposons encore que, les voyant dans l’embarras, il leur pose cette nouvelle question : « Votre souhait n’est-il pas de vous fondre le plus possible l’un avec l’autre en un même être, de façon à ne vous quitter l’un l’autre ni le jour ni la nuit ? Si c’est bien cela que vous souhaitez, je consens à vous fondre ensemble et à vous transformer en un seul être, de façon à faire que de ces deux êtres que vous êtes maintenant vous deveniez un seul, c’est-à-dire pour que, durant toute votre vie, vous viviez l’un avec l’autre une vie en commun comme si vous n’étiez qu’un seul être, et que, après votre mort, là-bas chez Hadès, au lieu d’être deux vous ne formiez qu’un seul être, après avoir connu une mort commune. Allons ! voyez si c’est là ce que vous désirez et si ce sort vous satisfait. » En entendant cette proposition, il ne se trouverait personne, nous le savons, pour dire non et pour souhaiter autre chose. Au contraire, chacun estimerait tout bonnement qu'il vient d'entendre exprimer un souhait qu'il avait depuis longtemps: celui de s'unir avec l'être aimé et se fondre en lui, de façon à faire un seul être au lieu de deux. Ce souhait s'explique par le fait que la nature humaine qui était la nôtre dans un passé reculé se présentait ainsi, c'est-à-dire que nous étions d'une seule pièce: aussi est-ce au souhait de retrouver cette totalité, à sa recherche, que nous donnons le nom d' « amour »."

 

Platon, Le Banquet, 189c-193e, tr. fr. Luc Brisson, GF p. 114-121.



  "Je passe maintenant à votre question, touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer une personne plutôt qu'une autre, avant que nous en connaissions le mérite ; et j'en remarque deux, qui sont, l'une dans l'esprit, et l'autre dans le corps. Mais pour celle qui n'est que dans l'esprit, elle présuppose tant de choses touchant la nature de nos âmes, que je n'oserais entreprendre de les déduire dans une lettre. Je parlerai seulement de celle du corps. Elle consiste dans la disposition des parties de notre cerveau, soit que cette disposition ait été mise en lui par les objets des sens, soit par quelque autre cause. Car les objets qui touchent nos sens meuvent par l'entremise des nerfs quelques parties de notre cerveau, et y font comme certains plis, qui se défont lorsque l'objet cesse d'agir ; mais la partie où ils ont été faits demeure par après disposée à être pliée derechef en la même façon par un autre objet qui ressemble en quelque chose au précédent, encore qu'il ne lui ressemble pas en tout. Par exemple, lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y ai fait réflexion, et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu'un défaut, qui nous attire ainsi à l'amour ; toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus."
 

Descartes, Lettre à Chanut, 6 juin 1647, Garnier T. III, p. 741.


 

  "La perversion sexuelle consiste dans le fait de ne pouvoir saisir l'autre comme objet de désir dans sa totalité singulière de personne, mais seulement dans le discontinu : l'autre se transforme en le paradigme des diverses parties érotiques de son corps, avec cristallisation objectale sur l'une d'entre elles. Cette femme n'est plus une femme, mais sexe, seins, ventre, cuisses, voix ou visage : ceci ou cela de préférence.
  À partir de là, elle est « objet », constituant une série dont le désir inventorie les différents termes, dont le signifié réel n'est plus du tout la personne aimée, mais le sujet lui-même dans sa subjectivité narcissique, se collectionnant-érotisant lui-même et faisant de la relation amoureuse un discours à lui-même."

 

Baudrillard, Le Système des objets, 1968, Paris, Gallimard, p. 141.

 


Date de création : 25/01/2010 @ 17:44
Dernière modification : 19/06/2019 @ 11:33
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