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Texte à méditer :  La solution du problème de la vie, c'est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème.  Wittgenstein
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Hors des sentiers battus
Les échanges favorisent-ils la paix ?

  "Le commerce guérit des préjugés destructeurs et c'est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.
  Qu'on ne s'étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu'elles ne l'étaient autrefois. Le commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.

  On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures : c'était le sujet des plaintes de Platon ; il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.
 
L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.
  Mais, si l'esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays [1] où l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l'humanité demande, s'y font, ou s'y donnent pour de l'argent.
 
L'esprit de commerce produit, dans les hommes, un certain sentiment de justice exacte, opposé d'un côté au brigandage, et de l'autre à ces vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité et qu'on peut les négliger pour ceux des autres.
 
La privation totale du commerce produit, au contraire, le brigandage, qu'Aristote met au nombre des manières d'acquérir. L'esprit n'en est point opposé à de certaines vertus morales : par exemple, l'hospitalité, très rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands.
 
C'est un sacrilège chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa maison à quelque homme que ce soit, connu ou inconnu. Celui qui a exercé l'hospitalité envers un étranger, va lui montrer une autre maison où on l'exerce encore, et il y est reçu avec la même humanité. Mais lorsque les Germains eurent fondé des royaumes, l'hospitalité leur devint à charge. Cela paraît par deux lois du code des Bourguignons, dont l'une inflige une peine à tout barbare qui irait montrer à un étranger la maison d'un Romain ; et l'autre règle que celui qui recevra un étranger sera dédommagé par les habitants, chacun pour sa quote-part."

 

Montesquieu, De l'esprit des lois, 1758, Quatrième partie, Livre XX, Chapitre II
De l'esprit du commerce.


[1] La Hollande.



  "De même que la nature sépare sagement les peuples, que la volonté de chaque État, fût-ce même d'après des principes du droit des peuples, aimerait unir entre eux par la ruse ou la force, de même elle unit d'un autre côté, au moyen de l'intérêt personnel réciproque, des peuples que le concept du droit cosmopolitique n'aurait pas prémunis contre la violence et la guerre. C'est l'esprit de commerce, qui est incompatible avec la guerre, et qui s'empare tôt ou tard de chaque peuple. Car comme parmi tous les pouvoirs (moyens) subordonnés au pouvoir de l'État, le pouvoir de l'argent semble devoir être le plus sûr, les États (dont la moralité n'est certes pas précisément le mobile) se voient poussés à promouvoir la noble paix, et partout où la guerre menace d'éclater dans le monde, de la repousser par des médiations, comme s'ils étaient en état d'alliance permanente à cette fin. Car, du fait de la nature même de la chose, les grandes coalitions en vue de la guerre ne peuvent se produire que rarement et plus rarement encore réussir. La nature garantit de cette manière la paix perpétuelle par le mécanisme des inclinations naturelles elles-mêmes, avec une sûreté, certes, insuffisante pour prédire son avenir au point de vue théorique, mais qui suffit dans une intention pratique et fait un devoir de travailler à cette fin qui n'est pas purement chimérique."

 

Kant, Vers la paix perpétuelle, 1795, Premier supplément, § 3, tr. fr. Éric Blondel, Jean Greish, Ole Hansen-Love, Théo Leydenbach, Éditions Hatier, p. 51-52.


 

  "Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre, comme celle de la guerre a dû nécessairement la précéder.
  La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’arriver au même but : celui de posséder ce que l’on désire. Le commerce n’est autre chose qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’aspirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-à-dire l’emploi de sa force contre la force d’autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire à un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt.
  La guerre est donc antérieure au commerce. L’une est l’impulsion sauvage, l’autre le calcul civilisé. Il est clair que plus la tendance commerciale domine, plus la tendance guerrière doit s’affaiblir."

 

Benjamin Constant, De l'esprit de conquête et de l'usurpation, 1814, Première partie, Chapitre 2, in Écrits politiques, 2004, Folio essais, p. 127.



  "La guerre est antérieure au commerce ; car la guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’atteindre le même but : celui de posséder ce que l’on désire. Le commerce n’est qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’aspirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-à-dire l’emploi de sa force contre la force d’autrui, l’expose à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire à un moyen plus doux et plu sûr d’engager l’intérêt d’un autre à consentir à ce qui convient à son intérêt. La guerre est l’impulsion, le commerce est le calcul. Mais par là même il doit venir une époque où le commerce remplace la guerre. Nous sommes arrivés à cette époque."

 

Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, 1819, in Écrits politiques, Folio essais, 1997, p. 597.



  "L'idée selon laquelle le commerce réduirait la probabilité que des nations entrent en guerre n'est pas démontrée. On trouve même beaucoup de preuves du contraire. Le commerce international s'est développé de façon significative pendant les années soixante et soixante-dix et, dix ans plus tard, la guerre froide s'est arrêtée. En 1913, le commerce international atteignait des niveaux records, et dans les années qui ont suivi les nations se sont entretuées. Si le commerce international, parvenu à ce niveau, n'a pu prévenir la guerre, alors quand y parviendra-t-il ? Il n'existe tout simplement pas de preuve que le commerce est un facteur de paix. Certaines analyses menées pendant les années quatre-vingt-dix remettent même cette thèse en question. « La croissance du commerce international pourrait être un facteur de division politique accrue […] Ce n'est pas en soi un moyen pour réduire les tensions internationales ou pour favoriser une plus grande stabilité internationale », conclut une étude. Selon une autre, un haut degré d'interdépendance économique « peut être un facteur de paix ou de guerre en fonction des perspectives commerciales à venir ». L'interdépendance économique favorise la paix seulement « quand les États souhaitent que les échanges commerciaux se poursuivent à un haut degré à l'avenir ». Si ce n'est pas le cas, il pourrait y avoir la guerre.
  L'échec du commerce et des communications pour produire paix et sentiment commun est cohérent avec ce que montrent les sciences sociales. En psychologie sociale, la théorie de la distinction montre que les personnes se définissent par leurs différences dans un certain contexte : « On se perçoit par l'intermédiaire de caractéristiques qui distinguent les autres hommes, en particulier de ceux qui appartiennent au même milieu […]. Une psychologue au milieu d'une douzaine d'autres femmes qui ont chacune une activité différente se pensera comme psychologue ; au milieu de psychologues hommes, il se sentira femme. » On se définit par ce qu'on n'est pas. Comme les communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations ; on accorde, en général de plus en plus d'attention à son identité civilisationnelle. Deux Européens, un Allemand et un Français, qui interagissent ensemble s'identifieront comme allemand et français. Mais deux Européens, un Allemand et un Français, interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Égyptien, se définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes. […] « Dans un monde de plus en plus globalisé – caractérisé par un haut degré d'interdépendance notamment civilisationnelle et sociétale, et par la conscience accrue de ce phénomène –, la conscience de soi civilisationnelle, sociétale et ethnique se trouve accrue. » Le renouveau global du religieux, « le retour du sacré », est une réaction à cette vision généralisée du monde comme un seul et même tout."

Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations, 1996, Première partie, Chapitre III, tr. fr. J.-L. Fidel, G. Joublain, P. Jorland et J.-J. Pédussaud, Odile Jacob, 2000, p. 85-86.

 

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Date de création : 26/01/2010 @ 17:10
Dernière modification : 06/09/2023 @ 08:50
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