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Hors des sentiers battus
Qu'est-ce qu'être conscient ?

  "La plupart des gens, quand on leur demande d'indiquer la différence entre un homme et une pierre, répondraient probablement que l'homme et non la pierre est « conscient ». Il considéreraient probablement qu'un chien est « conscient », mais émettraient des doutes quant à l'huître. Si on leur demande ce qu'ils entendent par « conscient », ils hésiteraient et peut-être, à la fin diraient-ils qu'ils entendent « se rendre compte de ce qui nous arrive ». Ceci nous conduirait à discuter la perception et ses rapports avec la connaissance. On ne dit pas qu'un thermomètre se « rend compte de la température » ou un galvanomètre du courant électrique. Nous trouvons donc que le terme communément employé « se rendre compte » (awareness) contient quelque chose de nature plus ou moins mnésique [1] et ce quelque chose peut s'identifier avec l'habitude. En tout cas, l'habitude est ce qui généralement distingue le comportement animal des manifestations de la matière animée."

 

Bertrand Russell, Signification et vérité, Chapitre XXI, 1940, tr. fr. Philippe Devaux, Champs Flammarion, 2001, pp. 321-322.


[1] Mnésique : qui a rapport à la mémoire.



  "Si vous ouvrez un dictionnaire classique en quête d'une définition de la conscience, vous aurez des chances de trouver une variante de ceci : « La conscience (consciousness) est l'état d'être au fait (awareness) de nous-mêmes et de ce qui nous entoure. » Remplacez « être au fait » (awareness) par « connaissance » et « nous-mêmes » par « notre existence », et vous obtiendrez un énoncé qui résume certains aspects essentiels de la conscience : c'est un état de l'esprit dans lequel intervient une connaissance de notre existence et de celle de ce qui nous entoure. La conscience est un état de l'esprit – donc, s'il n'y a pas d'esprit, il n'y a pas non plus de conscience. C'est un état particulier de l'esprit, enrichi par le sentiment (sense) de l'organisme en particulier dans lequel l'esprit est à l'œuvre. Cet état de l'esprit comprend également une connaissance du fait que ladite existence est située, que des objets et des événements l'entourent. La conscience est un état de l'esprit auquel s'ajoute un processus du soi.
  L'état conscient de l'esprit est vécu exclusivement à la première personne pour chacun de nos organismes ; il n'est jamais observable par quelqu'un d'autre. Cette expérience appartient en propre à chacun de nos organismes et non à d'autres. Mais le fait quelle soit exclusivement privée n'implique pas que nous ne puissions adopter un point de vue relativement « objectif » sur elle. Par exemple, c'est celui que je prends quand je tente de discerner les bases neurales du soi-objet, du moi matériel. Un moi matériel riche peut aussi procurer des connaissances à l'esprit. En d'autres termes, le soi-objet peut aussi être en position de propriétaire.

  Nous pouvons étendre la définition présentée ci-dessus en disant que les états conscients de l'esprit ont toujours un contenu (ils portent sur quelque chose) et que certains d'entre eux tendent à être perçus comme des collections intégrées de parties (ce qui est le cas, par exemple, quand nous voyons et entendons à la fois une personne nous parler et s'approcher de nous) ; en disant que les états conscients de l'esprit ont des propriétés qualitatives distinctes qui sont relatives aux différents contenus qu'on connaît (il est qualitativement différent de voir ou d'écouter, de toucher ou de goûter) ; et en disant que les états conscients de l'esprit contiennent obligatoirement un aspect lié au sentiment : on les sent. Enfin, notre définition provisoire doit préciser que les états conscients de l'esprit ne sont possibles que lorsque nous sommes éveillés, même si une exception partielle à cette définition vaut pour la forme paradoxale de conscience qui apparaît quand nous dormons : à savoir dans le rêve. En conclusion, sous sa forme classique, la conscience est un état de l'esprit qui survient lorsque nous sommes éveillés et dans lequel se manifeste une connaissance privée et personnelle de notre existence, située relativement à ce qui l'entoure et à un moment donné. Nécessairement, les états conscients de l'esprit manipulent des connaissances fondées sur différents matériaux sensoriels – corporels, visuels, auditifs, etc. – et manifestent des propriétés qualitatives diverses pour les différentes voies sensorielles. Les états conscients de l'esprit sont sentis."

 

Antonio Damasio, L'Autre moi-même, 2010, tr. fr. Jean-Luc Fidel, Odile Jacob/poches, 2012, p. 193-194.



  "Regardons donc dans notre esprit conscient et essayons d'observer à quoi il ressemble, à la base des couches qui le composent et débarrassé de tout le bagage que lui apporte l'identité, le passé vécu, l'anticipation du futur, l'esprit conscient. Je ne peux évidemment pas parler pour tout le monde, mais voici ce que je peux dire. Pour commencer, tout en bas, l'esprit conscient simple n'est guère différent du courant semé d'objets que décrivait William James. Mais ces objets ne ressortent pas tous autant. Certains sont comme grandis, d'autres pas. Ils ne sont pas non plus tous arrangés de la même manière par rapport à moi. Certains sont placés dans une certaine perspective par rapport au moi matériel que, une bonne partie du temps, je peux localiser non seulement dans mon corps mais, plus précisément, dans un espace situé derrière mes yeux et entre mes oreilles. Fait tout aussi remarquable, certains objets au moins s'accompagnent d'un sentiment qui les relie sans ambiguïté à mon corps et à mon esprit. Et ce sentiment m'apprend – sans qu'aucun mot ne soit prononcé – que je possède ces objets, pour une certaine durée et que je peux agir sur eux si je le souhaite. C'est littéralement le « sentiment de ce qui est », sentiment lié aux objets sur lequel j'ai écrit par le passé. Toutefois, quant aux sentiments dans l'esprit, j'ajouterai ceci : le sentiment de ce qui est n'est pas tout.
  Un sentiment plus profond se dessine et se manifeste dans les profondeurs de l'esprit conscient. C'est le sentiment que mon corps existe et est présent, indépendamment de tout objet avec lequel il interagit, tel un roc solide, telle l'affirmation brute que je suis vivant. Ce sentiment fondamental, auquel je n'ai pas assez rendu justice quand j'ai abordé naguère ce problème, me semble désormais être un élément essentiel du processus du soi. Je l'appelle sentiment primordial, et il a une qualité bien définie, une valence, qui se situe quelque part entre le plaisir et la douleur. C'est le précurseur qui se trouve sous tous les sentiments d'émotion et donc à la base de tous les sentiments causés par les interactions entre les objets et l'organisme. Comme nous le verrons, les sentiments primordiaux sont produits par le protosoi.

  En résumé, quand je plonge dans les profondeurs de l'esprit conscient, ce que je découvre, c'est un composé d'images différentes. Une partie d'entre elles décrit les objets dont j'ai conscience. D'autres me décrivent, et ce moi comprend : 1) la perspective dans laquelle les objets sont cartographiés (le fait que mon esprit voit, touche, entend, etc., d'un certain point, à savoir mon corps) ; 2) le sentiment que les objets sont représentés dans un esprit qui m'appartient à moi et à personne d'autre (possession) ; 3) le sentiment d'avoir un certain contrôle (agency) de ces objets et que les actions effectuées par mon corps sont commandées par mon esprit ; et 4) des sentiments primordiaux, qui expriment l'existence de mon corps vivant indépendamment de savoir si les objets l'impliquent ou non et comment.
  L'agrégat des éléments 1 à 4 constitue un soi dans sa version simple. Quand les images de l'agrégat du soi se déploient en même temps que celles des objets du non-soi, il en résulte un esprit conscient.
  Cette connaissance est là, bien présente. On n'y parvient pas par inférence ni par interprétation. Elle n'est pas non plus verbale. Elle est faite d'impressions et d'intuitions, de sentiments qui apparaissent relativement au corps vivant et relativement à un objet."

 

Antonio Damasio, L'Autre moi-même, 2010, tr. fr. Jean-Luc Fidel, Odile Jacob/poches, 2012, p. 226-228.

 

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Date de création : 28/01/2010 @ 16:34
Dernière modification : 26/10/2023 @ 10:37
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