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Texte à méditer :  Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.   Terence
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Hors des sentiers battus
Morale et société/culture ; l'ordre moral

 

 "Nous sommes cultivés au plus haut degré par l'art et par la science. Nous sommes civilisés, jusqu'à en être accablés, par la politesse et les bienséances sociales de toute sorte. Mais nous sommes encore loin de pouvoir nous tenir pour déjà moralisés.Si en effet l'idée de la moralité appartient bien à la culture, la mise en pratique de cette idée qui n'aboutit qu'à une apparence de moralité dans l'amour de l'honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation. Or tant que les États jettent toutes leurs forces dans leurs projets d'extension vains et violents, tant qu'ils entravent ainsi sans cesse le lent effort de formation intérieure du mode de penser de leurs citoyens, et qu'ils leur retirent ainsi toute aide en vue de cette fin, une fin semblable ne peut être atteinte, car sa réalisation exige que, par un long travail intérieur, chaque communauté forme ses citoyens. Or, tout bien qui n'est pas greffé sur une intention moralement bonne n'est qu'apparence criante et brillante misère. C'est dans cet état que l'espèce humaine restera jusqu'à ce qu'elle s'arrache par son travail [...] à l'état chaotique de ses relations internationales."
 
Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784, 7e proposition, éd. Bordas, 1988, p. 21.

 
  "Les règles morales qui interdisent aux hommes de se nuire les uns aux autres (et n'oublions jamais d'y inclure l'empiètement immoral de la liberté individuelle sur celle d'autrui) sont d'un intérêt plus vital pour le bien-être humain que les maximes, si importantes qu'elles puissent être, qui indiquent seulement la meilleure façon d'administrer quelque branche des affaires humaines. Elles ont aussi ce caractère particulier d'être l'élément essentiel qui donne une forme déterminée à l'ensemble des sentiments sociaux de l'humanité. C'est par leur observation seule que la paix se maintient entre les êtres humains : si l'obéissance à ces lois n'était pas la règle, et la désobéissance l'exception, chaque individu verrait dans chaque autre un ennemi, contre lequel il devrait se mettre perpétuellement en garde. Et, ce qui est à peine moins important, ces préceptes sont ceux que les hommes ont les motifs les plus forts et les plus directs de vouloir s'inculquer réciproquement. Par de simples exhortations ou de simples conseils réciproques de prudence, ils peuvent en effet ne rien gagner -du moins le croient-ils; l'intérêt qu'ils ont à s'inculquer les uns aux autres le devoir de bienfaisance positive est incontestable, mais bien moindre, car il se peut que nous n'ayons pas besoin des bienfaits des autres. Mais nous avons toujours besoin qu'ils ne nous nuisent pas.
 Ainsi les règles morales qui préservent chaque individu du mal que pourraient lui faire les autres, soit directement soit en l'empêchant de poursuivre librement son propre avantage, sont celles qui lui tiennent le plus à cœur et en même temps celles auxquelles il a le plus grand intérêt à donner cours et crédit par la parole et par l'action. C'est à sa façon d'observer ces règles qu'on peut juger et décider de l'aptitude d'une personne à faire partie de la communauté des êtres humains ; car de cela dépend qu'elle soit ou non un fléau pour ceux avec qui elle est en contact. "
 
John Stuart Mill, L'Utilitarisme, 1861, tr. fr. Georges Tannesse, Champs classiques, 1988, p. 148-149.


  "Chaque peuple a sa morale, qui est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit. On ne peut donc lui en inculquer une autre, si élevée qu'elle soit, sans le désorganiser, et de tels troubles ne peuvent pas ne pas être douloureusement ressentis par les particuliers. Mais la morale de chaque société, prise en elle-même, ne comporte-t-elle pas un développement indéfini des vertus qu'elle recommande ? Nullement. Agir moralement, c'est faire son devoir, et tout devoir est défini. Il est limité par les autres devoirs : on ne peut se donner trop complètement à autrui sans s'abandonner soi-même ; on ne peut développer à l'excès sa personnalité sans tomber dans l'égoïsme. D'autre part, l'ensemble de nos devoirs est lui-même limité par les autres exigences de notre nature. S'il est nécessaire que certaines formes de la conduite soient soumises à cette réglementation impérative qui est caractéristique de la moralité, il en est d'autres, au contraire, qui y sont naturellement réfractaires et qui pourtant sont essentielles. La morale ne peut régenter outre mesure les fonctions industrielles, commerciales, etc., sans les paralyser, et cependant elles sont vitales ; ainsi, considérer la richesse comme immorale n'est pas une erreur moins funeste que de voir dans la richesse le bien par excellence. Il peut donc y avoir des excès de morale, dont la morale d'ailleurs est la première à souffrir ; car, comme elle a pour objet immédiat de régler notre vie temporelle, elle ne peut nous en détourner sans tarir elle-même la matière à laquelle elle s'applique."

 

Émile Durkheim, De la division du travail social, 1893, Livre II, chapitre 1, Félix Alcan, p. 262.



  "Dans la discussion sur ces questions, en particulier la controverse morale sur les crimes nazis, on oublie presque toujours que ce qui pose le vrai problème moral, ce n'est pas le comportement des nazis, mais la conduite de ceux qui se sont seulement « coordonnés » sans agir par conviction. Il n'est guère difficile de voir et même de comprendre comment quelqu'un peut décider de « devenir un monstre » et, étant donné les circonstances, de tenter d'inverser le décalogue, en commençant par le commandement : « Tu tueras », pour finir par le concept : « Tu mentiras ». Toute communauté recèle un grand nombre de criminels, comme on ne le sait que trop bien, et tandis que la plupart n'ont qu'une imagination plutôt limitée, on peut concéder que certains sont tout aussi doués que Hitler et ses acolytes. Ce que ces gens ont fait était horrible et la manière dont ils ont organisé l'Allemagne d'abord et l'Europe sous occupation nazie ensuite est d'un grand intérêt pour les sciences politiques et l'étude des formes de gouvernement; mais cela ne pose pas de problèmes moraux. La morale s'est effondrée pour devenir un simple ensemble de moeurs - d'us et coutumes, de conventions modifiables à volonté - non pas avec les criminels, mais avec les gens ordinaires qui, tant que les normes morales étaient admises socialement, n'ont jamais rêvé de douter de ce qu'on leur avait appris à croire. Et cette affaire, c'est-à-dire le problème qu'elle pose, n'est pas résolue si on admet, comme on le doit, que la doctrine nazie n'est pas restée celle du peuple allemand, que la morale criminelle de Hitler a de nouveau changé au moment où « l'histoire » a sonné sa défaite. On doit donc dire que nous avons assisté à l'effondrement total d'un ordre « moral » non pas une fois mais deux, et que ce soudain retour à la « normale », contrairement à ce qu'on suppose souvent avec complaisance, ne peut que renforcer nos doutes."

 

Hannah Arendt, Questions de philosophie morale, 1965-1966, in Responsabilité et jugement, tr. fr. Jean-Luc Fidel, Payot, p. 98-99.

 

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Date de création : 08/03/2010 @ 16:35
Dernière modification : 17/06/2021 @ 11:23
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