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Texte à méditer :  La solution du problème de la vie, c'est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème.  Wittgenstein
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Hors des sentiers battus
Etat et violence

  "J'ai utilisé le mot d' « État » : le sens que je lui donne va de soi – une quelconque horde de fauves blonds, une race de conquérants et de maîtres qui, organisée pour la guerre et douée de la force d'organiser, pose ses formidables griffes sur une population qui est peut-être très supérieure en nombre, mais encore informe et errante. Car c'est bien ainsi que l' « État » commence sur terre : j'estime qu'on s'est défait de l'idée exaltée qui l'a fait commencer par un « contrat ». Celui qui peut commander, qui est « maître » par nature, qui s'avance dans son œuvre et son attitude avec violence – qu'a-t-il à faire de contrats !" 

 

Nietzsche, Généalogie de la morale, 1887, II, § 17, tr. fr. Éric Blondel, Ole Hansen-Løve, Théo Leydenbach et Pierre Pénisson, GF, 1996, p. 99.



  "S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait alors ce que l'on appelle au sens propre l'anarchie. La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'État, cela ne fait aucun doute mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers à commencer par la parentèle [1] ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du droit « à la violence. » "

 

Max Weber, Le Savant et le politique, tr. fr. Julien Freund, 10/18, 2005, p. 124-125.


[1] Ensemble de personnes liées par consanguinité.

 


 
  "S'il s'agissait simplement de distinguer l'État moderne d'autres formes, plus antiques, on serait donc fondé de voir dans le monopole de la violence une vraie différence spécifique : longtemps considéré comme but et idéal, ce monopole n'a été réalisé que dans le monde moderne, presque contemporain ; au moins jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, pratiquement jusqu'au milieu du siècle suivant, l'emploi de la violence est resté permis, dans la plupart des pays, à certaines personnes dans certaines situations (envers les serfs, les esclaves, les femmes, les enfants, etc.). Cependant, quand il s'agit de comprendre la signification de ce fait, le fait lui-même ne suffit pas. Il n'est peut-être pas décisif de constater qu'il dessine un trait en même temps trop large et trop étroit pour constituer, à lui seul, la définition de l'État moderne : trop large, parce qu'il ferait apparaître comme modernes les formes les plus primitives de la tyrannie (le tyran seul ayant des droits est aussi seul à disposer de la violence dans la réalité) ; trop étroit, parce qu'il exclurait du nombre des États modernes certains États qui conservent des traits du droit ancien (duel, punition de l'adultère par vengeance privée). Il importe bien plus qu'à ce défaut formel de la définition s'ajoute celui, fondamental, de ne pas montrer pourquoi ce monopole s'est constitué et pour quelles raisons il se maintient.

  Ainsi rencontre-t-on, à côté de la définition par le monopole de la violence, une autre qui fait de l'État moderne l'État du droit et voit l'essentiel non dans le monopole de la violence, mais dans le fait que l'action de l'État, de même que l'action de tout citoyen, est réglée par des lois. Elle enferme la première, étant donné que l'emploi de la violence reste réservé à l'État, qui crée, renforce et exécute les lois et, par la loi, règle l'emploi de la violence. Il ne l'emploie cependant que dans certaines circonstances qu'il est seul à définir par la loi et en dehors desquelles il s'interdit lui-même de s'en servir. Cette loi est formulée et formelle, et aucun droit non-écrit ne peut être invoqué contre elle : le contenu de la loi peut être influencé, voire fourni, par de tels droits traditionnels (« imprescriptibles », « naturels »), mais la reconnaissance de ces droits par l'État est requise de façon absolue, et elle n'est donnée que dans la forme de la loi.

  La définition de l'État comme État de droit possède de gros avantages sur la première. Elle n'est ni trop large ni trop étroite, et sans sacrifier l'avantage de la première, qui fut d'insister sur un trait essentiel de l'État moderne, elle y ajoute une détermination positive en indiquant la nature qu'a ce monopole de la violence dans la réalité moderne : il ne se révèle pas seulement dans un fait brut, dans la concentration effective du pouvoir contraignant entre les mains de l'État ou de ceux qui prétendent être l'État, mais il apparaît sous forme rationnelle aux yeux de tous les citoyens, comme ce cadre des lois qui règle tous les rapports entre eux, avec la société et avec l'État, pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi de la violence."

 

Éric Weil, Philosophie politique, 1956, § 33, Librairie philosophique J. Vrin, p. 143.



  "Avec l'État une certaine violence apparaît, qui a les caractère­s de la légitimité. Que signifie, non seulement pour notre vie d'homme, mais pour notre réflexion morale, pour notre méditation philosophique et religieuse, ce fait étrange : l'existence politique de l'homme est gardée et gui­dée par une violence, la violence étatique, qui a les carac­tères d'une violence légitime ?
  Assurons d'abord notre point de départ : quelle violence minimale se trouve instituée par l'État ? Sous sa forme la plus élémentaire et en même temps la plus irréductible, la violence de l'État, c'est la violence de caractère pénal. L'État punit ; en dernière analyse, c' est lui qui a le mono­pole de la contrainte physique ; il a retiré aux individus le droit de se faire justice à eux-mêmes ; il a pris sur lui toute la violence éparse, héritée de la lutte primitive de l'homme contre l'homme ; de toute violence, l'individu peut en appe­ler à l'État, mais l'État est la dernière instance, l'instance sans recours. En abordant la violence de l'État par son côté pénal, punitif, nous sommes allés droit au problème central ; ­car les multiples fonctions de l'État, son pouvoir de légiférer, son pouvoir de décider et d'exécuter, sa fonction administrative, sa fonction économique ou sa fonction éducative, toutes ces fonctions sont finalement sanctionnées par le pouvoir de contraindre en dernière instance. Dire l'État est un pouvoir et qu'il est un pouvoir de contraindre, c'est la même chose."

 

Paul Ricœur, "État et violence", 1957, in Histoire et vérité, 1964, Points essais, 2001, p. 278-279.



  "Souveraineté veut dire « espace » et de plus espace sur lequel s'exerce une violence (latente ou déchaînée), donc établi et constitué par la violence. À partir du XVIe siècle l'accumulation brisa les cadres des petites collectivités médiévales, les bourgs et villes, les fiefs et principautés. Seule la violence actualise les possibilités techniques, démographiques, économiques, sociales. Le pouvoir souverain s'étend sur un espace qu'il domine militairement, le plus souvent après l'avoir ravagé. Les États se changent en Empires, celui de Charles-Quint et des Habsbourg, celui des Tzars, puis celui de Napoléon, et celui dont Bismarck fut le stratège. Or ces empires, antérieurs à l'impérialisme, éclatent tôt ou tard, victimes de leur espace qui leur échappe. L'État-nation, basé sur un territoire déterminé, l'emporte à la fois sur la Ville-État (qui cependant dure jusqu'au XIXe siècle : Venise, Florence) et sur l'État-Empire, dont les capacités militaires sont tôt ou tard débordées. Le rapport « centralité-périphérie », à une échelle qui n'est pas encore planétaire, révèle déjà les limites de la centralité et du pouvoir étatique, la vulnérabilité des centres « souverains ».
  Il reste que tout État naît de la violence et que le pouvoir étatique ne persiste que par la violence exercée sur un espace. Cette violence provient de la nature, tant par les ressources mises en jeu que par les enjeux : richesses, territoires. Elle fait en même temps violence à toute nature, car elle lui impose des lois, des découpages administratifs, des principes politiques étrangers aux qualités initiales des territoires et des gens. En même temps encore, elle établit une rationalité, celle de l'accumulation, celle de la bureaucratie et de l'armée; une unité, une logistique, un opérationalisme, un quantitativisme rendent possible la croissance économique et seront véhiculés par elle, jusqu'à prendre possession de la planète. La violence originelle, la création continue par la violence (par le feu et le sang, disait Bismarck), voilà la marque distinctive de l'État ; mais sa violence ne peut s'isoler. Elle ne se sépare ni de l'accumulation du capital ni du principe rationnel et politique d'unification, subordonnant et totalisant les aspects de la pratique sociale, la législation, la culture, la connaissance et l'éducation dans un espace déterminé, celui de l'hégémonie de la classe dominante sur son peuple et sa nationalité qu'elle s'approprie. Chaque État prétend produire l'espace d'un accomplissement, voire d'un épanouissement, celui d'une société unifiée, donc homogène. Alors qu'en fait et en pratique, l'action étatique et politique institue en la consolidant par tous les moyens un rapport de forces entre les classes et fractions de classes, entre les espaces qu'elles occupent. Qu'est donc l'État ? Un cadre, disent les spécialistes « politicologues », le cadre d'un pouvoir qui prend des décisions, de sorte que des intérêts (ceux de minorités : classes, fractions de classes, s'imposent, à tel point qu'ils passent pour intérêts généraux. D'accord, mais il faut ajouter : cadre spatial. Si l'on ne tient pas compte de ce cadre spatial, et de sa puissance, on ne retient de l'État que l'unité rationnelle, on en revient à l'hégélianisme. Seuls les concepts de l'espace et de sa production permettent au cadre du pouvoir (réalité et concept) d'atteindre le concret. C'est dans cet espace que le pouvoir central s'érige au-dessus de tout autre pouvoir et l'élimine. C'est dans cet espace aussi qu'une nation proclamée « souveraine » écarte toute autre nationalité et souvent l'écrase, qu'une religion d'État interdit toute autre religion, qu'une classe au pouvoir prétend supprimer les différences entre les classes. Le rapport à sa propre efficacité d'une institution autre que l'État – l'Université, la fiscalité, la justice – n'a pas besoin de passer par la médiation du concept d'espace pour se représenter ; l'espace où s'exerce une telle institution se définit par des décrets et règlements d'application dans l'espace étatique et politique. Par contre, ce cadre étatique et l'État comme cadre ne se conçoivent pas sans l'espace instrumental dont ils se servent. C'est si vrai que chaque nouvelle forme d'État et de pouvoir politique apporte son découpage de l'espace et sa classification administrative des discours sur l'espace, sur choses et gens dans l'espace. Elle commande ainsi à l'espace de la servir."

 

Henri Lefebvre, La Production de l'espace, 1974, 4e édition, Ed. Anthropos, 2000, p. 322-324.


 

 "Si tout individu vivant en société (à l'exception des malfaiteurs reconnus ou occasionnels, comme les voleurs et les « braqueurs » de banques) obtient ses revenus par des méthodes volontaires, soit en vendant des biens ou services aux consommateurs soit en recevant des dons volontaires (legs, héritages, etc.), il n'y a que les hommes d'État qui obtiennent les leurs par la contrainte, en brandissant la menace d'affreuses punitions au cas où l'argent ne viendrait pas. On appelle « impôt » cette violence, bien qu'elle ait porté le nom de « tribut » à des époques moins normalisées. L'impôt est un vol, purement et simplement, même si ce vol est commis à un niveau colossal auquel les criminels ordinaires n'oseraient prétendre. C'est la confiscation par la violence de la propriété de leurs sujets par les hommes de l'État."
 
Murray Rothbard, L'Éthique de la liberté, 1991, tr. S. Guillaumat et P. Lemieux, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 271.

 

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Date de création : 08/06/2010 @ 15:54
Dernière modification : 18/05/2021 @ 14:50
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