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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
L'anarchisme

  "Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'asso­ciation ne peut naître et subsister si elle ne restreint de toute façon la liberté. On ne peut nulle part éviter une certaine limitation de la liberté, car il est impossible de s'affranchir de tout : on ne peut pas : voler comme un oiseau pour la seule raison qu'on le désire, car on ne se débarrasse pas de sa pesanteur ; on ne peut pas vivre à son gré sous l'eau comme un poisson, car on a besoin d'air, c'est là un besoin dont on ne peut s'affranchir, et ainsi de suite. La religion, et en particulier le Christianisme, ayant torturé l'homme en exigeant de lui qu'il réalise le contre-nature et l'absurde, c'est par une conséquence naturelle de cette impulsion religieuse extravagante que l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était étaler au plein jour l'absurdité des vœux impossibles.
  L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de la vie dans l'État ou la Société ; toutefois, les restrictions à la liberté et les obstacles à la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. Relative­ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un Esprit, qui veut être adoré en esprit et en vérité, la seconde est mon œuvre, elle est née de Moi. L'État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m'impose un credo, le credo de la légalité. Il exerce sur Moi une influence morale, il règne sur mon esprit, il proscrit mon Moi pour se substituer à lui comme mon vrai moi. Bref, l'État est sacré, et en face de moi, l'individu, il est le véritable homme, l'esprit, le fantôme. L'association au contraire est mon œuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.

  "Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de cité chez moi. Mais j'entends encore moins engager mon avenir à l'association et lui « vendre mon âme », comme on dit quand il s'agit du diable et comme c'est réellement le cas quand il s'agit de l'État ou d'une autorité spirituelle. Je suis et je reste pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment plus aussi que l'association."

 

Max Stirner, L'Unique et sa propriété, 1844, 2e partie, II, B, tr. fr. Robert L. Leclaire.


 

  "« Et tu aimeras le Gouvernement, ton seigneur et ton dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence : parce que le Gouvernement sait mieux que toi ce que tu es, ce que tu vaux, ce qui te convient, et qu'il a le pouvoir de châtier ceux qui désobéissent à ses commandements, comme de récompenser jusqu'à la quatrième génération ceux qui lui sont agréables. »
  Ô personnalité humaine ! Se peut il que pendant soixante siècles tu aies croupi dans cette abjection ? [...] Être gouverné : c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni le titre, ni la science, ni la vertu […]. Etre gouverné, c'est être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, côté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C'est, sous prétexte d'utilité publique, et au nom de l'intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de la plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! Et dire qu'il y a parmi nous des démocrates qui prétendent que le gouvernement a du bon ; des socialistes qui soutiennent au nom de la Liberté, de l'Égalité et de la Fraternité, cette ignominie, des prolétaires qui posent leur candidature à la présidence de la République ! Hypocrisie !"

 

Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la révolution au XIXe  siècle, 1851, Garnier Frères, p. 341-342.



  "Nous pensons que la politique, nécessairement révolutionnaire, du prolétariat, doit avoir pour objet immédiat et unique la destruction des États. Nous ne comprenons pas qu'on puisse parler de la solidarité internationale lorsqu'on veut conserver les États, – à moins qu'on ne rêve l'État universel, c'est-à-dire l'esclavage universel, comme les grands empereurs et les papes, l'État par sa nature même étant une rupture de cette solidarité et par conséquent une cause permanente de guerre. Nous ne concevons pas non plus qu'on puisse parler de la liberté du prolétariat ou de la délivrance réelle des masses dans l'État et par l'État. État veut dire domination, et toute domination suppose l'assujettissement des masses et par conséquent leur exploitation au profit d'une minorité gouvernante quelconque.
  Nous n'admettons pas, même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées constituantes, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires ; parce que nous sommes convaincus que la révolution n'est sincère, honnête et réelle que dans les masses, et que, lorsqu'elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus gouvernants, elle devient inévitablement et immédiatement la réaction. Telle est notre croyance, ce n'est pas ici le moment de la développer.
  Les marxiens professent des idées toutes contraires. Ils sont les adorateurs du pouvoir de l'État, et nécessairement aussi les prophètes de la discipline politique et sociale, les champions de l'ordre établi de haut en bas, toujours au nom du suffrage universel et de la souveraineté des masses, auxquelles on réserve le bonheur et l'honneur d'obéir à des chefs, à des maîtres élus. [...] Entre les marxiens et nous il y a un abîme. Eux, ils sont les gouvernementaux, nous les anarchistes quand même."

 

Bakounine, Lettre à la rédaction de La Liberté, 5 octobre 1872.


 

  "Je déteste le communisme [autoritaire], parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État. [...] Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non du haut en bas par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste.
  Prétendre qu'un groupe d'individus, même les plus intelligents et les mieux intentionnés, sera capable de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l'organisation économique du prolétariat de tous les pays, c'est une telle hérésie contre le sens commun et contre l'expérience historique, qu'on se demande avec étonnement comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir.
  Nous n'admettons pas même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées constituantes, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires ; parce que nous sommes convaincus que la révolution [...] lorsqu'elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus gouvernants, devient inévitablement et immédiatement la réaction.
  Je me demande comment [Marx] fait pour ne point voir que l'établissement d'une dictature universelle, collective ou individuelle, d'une dictature qui ferait en quelque sorte la besogne d'un ingénieur en chef de la révolution mondiale, réglant et dirigeant le mouvement insurrectionnel des masses dans tous les pays comme on dirige une machine - que l'établissement d'une pareille dictature suffirait à lui seul pour tuer la révolution, pour paralyser et pour fausser tous les mouvements populaires ?

  Et que penser d'un congrès international qui, dans l'intérêt soi-disant de cette révolution, impose au prolétariat de tout le monde civilisé un gouvernement investi de pouvoirs dictatoriaux, avec le droit inquisitorial et pontifical de suspendre des fédérations régionales, d'interdire des nations entières au nom d'un principe soi-disant officiel et qui n'est autre que la propre pensée de Marx, transformée par le vote d'une majorité factice en une vérité absolue ?
  Si le prolétariat devient la classe dominante, qui demandera-t-on, dominera-t-il ? [...] Qui dit État dit nécessairement domination et, par conséquent, esclavage. [...] Sous quelque angle qu'on se place, on arrive au même résultat exécrable : le gouvernement de l'immense majorité des masses populaires par une minorité privilégiée. Mais cette minorité, disent les marxistes, se composera d'ouvriers. Oui, certes, d'anciens ouvriers, mais qui, dès qu'ils seront devenus des gouvernants, cesseront d'être des ouvriers et se mettront à regarder le monde prolétaire du haut de l'État, ne représenteront plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétentions à le gouverner."

 

Bakounine, Étatisme et Anarchie, 1873, in Oeuvres complètes, vol. IV.



  1. Nombreuses et variées sont les théories au moyen desquelles on a essayé d'expliquer et de justifier l'existence du gouvernement. Toutes, en somme, sont fondées sur le préconcept, avoué ou non, que les hommes ont des intérêts contraires et qu'il faut une force externe, supérieure pour obliger les uns à respecter les intérêts des autres, en prescrivant et imposant telle règle de conduite, qui harmoniserait, autant que possible, les intérêts en lutte et qui apporterait à chacun la plus grande satisfaction avec le moins de sacrifices possibles [...] Les antagonismes naturels des intérêts et des passions créent la nécessité du gouvernement et justifient l'autorité qui se pose en modération dans la lutte sociale et assigne les limites des droits et des devoirs de chacun."

 2. Qu'est-ce que le gouvernement ?

  Pour nous, le gouvernement c'est la collectivité des gouvernants [...] Les gouvernants, en un mot, sont ceux qui ont la faculté, à un degré plus ou moins élevé, de se servir de la force sociale, soit de la force physique, intellectuelle et économique de tous, pour obliger tout le monde à faire ce qu'ils veulent eux-mêmes."

 3."Le mot Anarchie nous vient du grec et signifie sans gouvernement, état d'un peuple qui se régit sans autorité constituée, sans gouvernement [...] le mot Anarchie était généralement pris dans le sens de désordre, de confusion; il est encore pris aujourd'hui dans ce sens par les masses ignorantes et par les adversaires intéressés à cacher la vérité.

  Comme on a cru le gouvernement nécessaire, puisqu'on a admis que sans gouvernement il ne peut y avoir que désordre et confusion, il est naturel, il est même logique que le terme Anarchie, qui signifie absence de gouvernement, signifie aussi absence d'ordre [...]

  Changez l'opinion, persuadez le public que non seulement le gouvernement n'est pas nécessaire, mais qu'il est extrêmement nuisible et alors le mot Anarchie, justement parce qu'il signifie absence de gouvernement, voudra dire pour tous : ordre naturel, harmonie des besoins et des intérêts de tous, liberté complète dans la solidarité."

 4.L'homme ne veut ni ne peut vivre isolé, il ne peut même pas devenir véritablement homme et satisfaire ses besoins matériels et moraux autrement qu'en société et avec la coopération de ses semblables. Il est donc fatal que tous ceux qui ne s'organisent pas librement, soit qu'ils ne le puissent, soit qu'ils n'en sentent pas la pressante nécessité, aient à subir l'organisation établie par d'autres individus ordinairement constitués en classe ou en groupes dirigeants dans le but d'exploiter à leur propre avantage le travail d'autrui.

  Et l'oppression millénaire des masses par un petit nombre de privilégiés a toujours été la conséquence de l'incapacité de la plupart des individus à s'accorder, à s'organiser sur la base de la communauté d'intérêts et de sentiments avec les autres travailleurs pour produire, pour jouir et pour, éventuellement, se défendre des exploiteurs et des oppresseurs. L'anarchisme vient remédier à cet état de choses avec son principe fondamental d'organisation libre, créée et maintenue par la volonté des associés sans aucune espèce d'autorité, c'est-à-dire sans qu'aucun individu ait le droit d'imposer aux autres sa propre volonté."

 

Errico Malatesta, L'Anarchie, 1891.


 

 

 "La marque de l'anarchisme politique, c'est son opposition à l'ordre établi : l'État, ses institutions, les idéologies qui le soutiennent et glorifient ses institutions. L'ordre établi doit être détruit pour que la spontanéité humaine puisse se faire jour, et exercer ses droits à la libre initiative. Le cas échéant, on espère vaincre non pas seulement quelques barrières sociales, mais le monde physique entier, monde qu'on voit corrompu, irréel, transitoire, et sans importance. Cet anarchisme religieux ou eschatologique nie non seulement les lois sociales, mais les lois morales, physiques et perceptives, et envisage aussi un mode d'existence qui ne serait plus lié au corps, à ses réactions, à ses besoins. La violence, politique ou spirituelle, joue un rôle important dans presque toutes les formes d'anarchisme. La violence est, de fait, nécessaire pour surmonter les obstacles érigés par une société bien organisée, ou par nos propres modes de comportement (la perception, la pensée, etc.), et elle est bénéfique à l'individu : elle libère nos énergies et nous fait prendre conscience des pouvoirs dont nous disposons. Les associations libres dans lesquelles chacun agit selon ce qui convient le mieux à ses talents remplacent les institutions pétrifiées d'aujourd'hui ; aucune fonction ne doit être autorisée à se fixer – « celui qui commandait hier peut avoir à obéir demain »[1]. L'enseignement doit être basé sur la curiosité et non l'obéissance, le rôle de l'enseignant est d'accentuer cette curiosité, et non de s'en remettre à des méthodes fixes. La spontanéité doit régner en maîtresse dans la pensée (perception) comme dans l'action."
 
Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975, tr. fr. Baudouin Jourdant et Agnès Schlumberger, Points Sciences, 1988, p. 205-206.

[1] Bakounine, Œuvres, Vol. 2, p. 297.

 

 

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Date de création : 08/06/2010 @ 15:58
Dernière modification : 28/05/2024 @ 11:43
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