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Texte à méditer :   Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible.   David Rousset
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Cours sur la conscience

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peut-on définir l'homme par la conscience ?

 

 

Introduction : qu'est-ce qu'un sujet ?

 

Texte d'introduction : Louis Althusser, Idéologie et appareils idéologiques d'État, in Positions, Éditions sociales, pp. 111-113.

 

→ Texte de Russell, Science et religion, Folio essais, pp. 103-105.

 

Pour retracer la généalogie complète du concept de "Sujet" et partant de la "Subjectivité", il faut partir de l'hupokeimenon grec qui signifie littéralement "couché en dessous". Traduit en latin par "subjectum", participe passé de "subjicere" (jeter dessous), il est synonyme de "substantia", dérivé de "substare" (se tenir dessous) et désigne le substrat ou la chose même dont on parle et à laquelle on attribue des qualités. En ce sens, le sujet est bien ce qu'il faut supposer en-dessous pour pouvoir dire quelque chose dessus ou à son sujet. D'où la définition célèbre d'Aristote : "Le sujet, c'est ce dont tout le reste est affirmé, et qui n'est plus lui-même affirmé d'autre chose". Rappelons aussi qu'au couple substance/accident ainsi formé répond l'opposition logique sujet/prédicat, tout aussi classique. Bref le sujet est ce dont il est question, la référence fondamentale. N'oublions pas enfin que l' "ancien" sujet substantiel est susceptible d'objectivation scientifique (le "patient" du chirurgien) et d'assujettissement politique (le "sujet du roi"). Au plan psychologique, l'expression "être sujet au vertige" par exemple révèle toute l'ambiguïté sémantique du mot (cette duplicité sujet/subjectivité que l'on retrouvera partout) : ce qui est bien "subjectif" c'est de faire l'expérience personnelle du vertige (comme la nausée, cela ne se partage pas) ; mais je suis également "sujet" (parmi d'autres) au sens de subjectum lorsque le vertige est chez moi une disposition permanente, de sorte que je lui sert passivement de terrain ou de support.

→ c'est le sujet au sens grammatical du terme (qui a ensuite été élargi).


Pourtant, au sens moderne, le "sujet de la subjectivité" (si l'on ose dire) n'est pas tant celui dont on parle que celui qui parle.

c'est le sujet entendu comme personne, individu.

Loin d'évoquer la passivité d'un support ou d'un substrat, le mot est plutôt synonyme d'action et de liberté, de conscience, d'individualité et d'originalité, etc. Avec Michel Foucault on définira plus précisément la subjectivité par une forme commune et invariante comme telle à travers ses phases et ses figures, en l'occurrence la forme du rapport à soi. Connotant peut-être davantage vers l' "intériorité", on peut aussi proposer des formules comme "expérience en première personne" ou "expérience de soi". Il n'y a plus d'un côté le sujet et de l'autre les qualités qu'il supporte, il y a un sujet capable d' "auto-référence", capable de se référer à soi et de dire par exemple "je suis moi" ou "je suis celui-là même qui dit : "je". Capable donc, grammaticalement, de se dédoubler en un "je" et un "moi". La subjectivité "vraie" n'est pas dans l'une ou l'autre de ces deux instances, mais dans leur duplicité ou leur circularité même, la circularité étant ce qui caractérise et identifie sujet et subjectivité. Revenons aux sens premiers de ces termes. En commençant par le sujet. Si l'on dit que toute propriété est propriété de quelque chose, ce quelque chose qu'on appelle sujet pourrait-il exister "en soi" en dehors de toutes ses propriétés ? Il n'y a pas de sujet pur, mais d'emblée une dualité nécessaire sujet/attribut. Et surtout, ne faut-il pas supposer quelqu'un - un sujet : mais cette fois au sens de subjectivité - pour décider, prendre "sur lui" d'attribuer ces qualités au (premier) sujet ? Inversement, la subjectivité où "je" fais l'expérience de "moi" ne fait-elle pas précisément de ce "moi" un sujet au sens de substrat ? quelque chose qui "réside là en-dessous" et qu'il m'est loisible par exemple d'examiner, d'étudier, de peindre ou de plaindre ? D'ailleurs la substantification du sujet peut se produire au niveau du "moi" comme au niveau du "je". C'est aussi bien (et d'abord) leur unité classique, leur confusion dans le cogito à titre de "chose pensante", qui assume à tout le moins cette fonction d'invariance.

 

C'est le philosophe anglais Locke qui invente en 1690 le terme de "consciousness", distinct de la conscience morale, pour définir ce qui fait l'unité de la personne "qui peut se considérer soi-même comme une même chose pensante en différents temps et lieux."[1]

 

→ Texte d'introduction : Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain, Livre II, Ch. 27, p. 264.

Ni une chose, ni un ordinateur, ni même un animal ne peuvent se dire : "C'est moi qui suis en train de lire cette page". Seul un sujet peut le faire. Mais quels sont les attributs qui permettent de dire d'un être qu'il est un sujet ?

 

Le terme "sujet" se définit par opposition à celui d' "objet", lequel signifie dans son sens premier : tout ce qui affecte les sens, et plus particulièrement ce qui est présenté à la vue. L'objet, c'est donc ce qui est perçu par l'intermédiaire de la sensibilité, et parallèlement, le sujet serait donc cet être capable de percevoir des "objets", c'est-à-dire autre chose que lui-même (cela implique donc qu'il y ait distinction entre le soi et le non-soi : cf. la question de l'identité biologique, par exemple en immunologie). Mais, dans ce cas, il nous faudrait revenir sur notre première affirmation. En effet, un animal n'est-il pas capable d'opérer la distinction entre un monde d'objets (ce qui n'est pas lui), et son propre corps ? Pourtant, et ce malgré la tendance de certains biologistes contemporains, il nous est difficile d'assimiler l'animal à un sujet, et encore moins l'ensemble des êtres vivants. La réflexion philosophique ne nous a-t-elle pas en effet légué une conception plus spécifique du sujet ?

Ainsi,pour être sujet, il faut d'abord être doté d'une conscience. Le mot "conscience" vient du latin cum scientia qui signifie "accompagné de savoir". On peut toutefois distinguer au moins trois sens de ce mot :

 

1.La conscience d'un point de vue strictement psychologique : perdre conscience, être inconscient au sens d'avoir perdu connaissance. Ces expressions renvoient à la conscience comme à une chose qu'on possède et qu'on peut perdre.

2.La conscience comme la connaissance de quelque chose : prendre conscience de quelque chose, être conscient d'une chose, avoir conscience de telle ou telle chose, soit en soi, soit en dehors de soi. Dans ces expressions, avoir conscience signifie connaître ou penser.

{C}3.{C}La conscience comme conscience morale : avoir mauvaise conscience, avoir un problème ou un cas de conscience, agir en son âme et conscience, être consciencieux, avoir la conscience tranquille. Et dans le même ordre d'idée, être inconscient, c'est-à-dire agir au mépris de la prudence, dans l'ignorance des risques qu'on court ou fait courir aux autres…

 

Les deux premiers sens constituent ce que l'on pourrait appeler la "conscience théorique" ou psychologique. Celle-ci peut être définie comme la perception que nous avons de nous-même et du monde extérieur. Lalande la définit ainsi dans son dictionnaire philosophique :

 

"La conscience est la connaissance plus ou moins claire qu’un sujet possède de ses états, de ses pensées et de lui-même."

 

Ou comme le précise Popper :

 

"Pour définir brièvement la conscience de soi, on pourrait dire que c'est la perception intérieure de l'être vivant non seulement dans son monde, ce qui correspondrait à la simple conscience, mais aussi vis-à-vis du monde. Par la conscience de soi, l'individu fait l'expérience du monde et en même temps de lui-même en tant qu'objet de ce monde, il est conscient à la fois de son expérience subjective et de sa propre existence, autrement dit, réflexion double, mode d'expérience duelle de l'existence une et indivisible de l'individu"[2].

 

Ainsi définie, la conscience peut-être scindée en deux, dans la mesure où l'on peut distinguer une conscience "directe" ou "immédiate", et une conscience "réfléchie". Gerald M. Edelman, parle quant à lui de conscience primaire et de conscience d'ordre supérieur.

 


Conscience immédiate ou primaire

 

C'est l'état qui permet de se rendre compte de la présence des choses dans le monde, d'avoir des images mentales dans le présent.

 

 

 

 

 

 

 

Conscience réfléchie ou supérieure

 

Elle fait appel à la reconnaissance par un sujet pensant de ses propres actes et affects. Elle dénote une conscience directe – la conscience immédiate, non réfléchie de l'existence d'épisodes mentaux, sans aucune intervention des organes récepteurs ou sensoriels. Nous sommes ainsi conscients d'être conscients. La conscience réfléchie est donc d'abord un redoublement : faire et savoir que l'on fait, percevoir et savoir que l'on perçoit, penser et savoir que l'on pense.


 

On peut ainsi distinguer différents "règnes" dans le monde :

1.minéral = pas de conscience

2.végétal = pas de conscience, mais capacité à sentir le monde extérieur.

3.animal = les situations sont variées, on peut dire que certains animaux possèdent une conscience primaire (mammifères, oiseaux, reptiles). Ils possèderaient ainsi un sentiment de soi, et non une conscience de soi au sens de conscience réfléchie.

On pourrait comparer la situation de l'animal à celle d'un somnambule qui est capable de percevoir, d'agir efficacement, et qui pourtant n'a pas conscience de ce qu'il fait.

{C}4.{C}humain (+ certains grands singes) : présence d'une conscience d'ordre supérieur.

 

Si on suit William James, qui analysa les propriétés de la conscience, on peut considérer que possède au moins 4 caractéristiques :

{C}-{C}elle est personnelle (elle appartient à l'individu, au moi).Par sa conscience, un sujet a directement accès à son propre monde intérieur ("je peux savoir que j'ai soif"). En conséquence, il se représente lui-même ce qu'il vit, à la première personne.

{C}-{C}elle est changeante mais continue (c'est ce qui permet la construction d'une identité dans le temps) C'est pour ces deux premières raisons qu'un sujet s'appréhende comme une identité singulière : identité, parce qu'il reste le même à travers ses différents états, singulière parce qu'un sujet est un être unique et distinct des autres.

-elle a affaire à des objets qui sont indépendants d'elle. Cela signifie que la conscience est intentionnelle ; nous sommes conscients des choses et des événements eux-mêmes, ou encore de choses ou d'événements les concernant.

-elle est sélective dans le temps, autrement dit, elle n'épuise pas tous les aspects des objets auxquels elle a affaire. On n'a pas conscience de tout ce qui nous entoure ou de tout ce qui passe en nous. Lorsque que nous nous concentrons par exemple, la conscience est active, et se focalise sur une partie de la réalité, ce qui nous fait perdre la conscience du reste.

Par ailleurs, la conscience est aussi, dans une certaine mesure, liée à la volonté.

Pour être sujet en effet,il faut qu'on soit l'auteur de ses actes : "je décide de continuer à lire". Parce que l'homme a conscience de ce qui se passe en lui, il peut aussi décider de ce qu'il va faire. Par exemple, lorsque j'ai peur, je sais aussi que j'ai peur, et je peux décider de ma réaction. Définir l'homme par la conscience, c'est donc faire de lui un sujet maître de ses actes.

 

En résumé : Un sujet est un être qui a conscience de ce qu'il vit, de ce qu'il fait, et de ce qu'il est.

 

Mais un tel sujet existe t-il réellement ? La question se pose, en particulier depuis que cette idée de l'homme comme être transparent à lui-même, maître de ses pensées et de ses actes, et d'une identité homogène, a été remise en cause par la découverte de l'inconscient, c'est-à-dire par l'existence en l'homme de pensées et de forces auxquelles sa conscience n'a pas accès. Autrement dit, peut-on définir l'homme par la conscience ?

Chaque sujet est dès lors amené à se poser les questions suivantes :

"Ne suis-je pas victime d'une illusion quand je prétends me connaître, alors que certaines pensées sont telles que je ne peux pas y accéder ?", "Suis-je encore l'auteur responsable de mes actes, si une incertitude plane sur la maîtrise que je peux avoir de moi-même ?", "Suis-je même certain d'avoir une identité définie, stable et homogène ?", "Si l'on prend en compte la séparation de notre psychisme entre conscience et inconscient, l'idée de l'homme comme sujet est-elle toujours légitime ?".

 

{C}I.{C}Conscience, identité, liberté.

 

{C}1.{C}Le cogito cartésien

 

Le cogito cartésien, pure apparition de la subjectivité à elle-même, intervient dans le contexte d'une refondation métaphysique. C'est après s'être aperçu de la fausseté de nombre des opinions qu'il avait reçues jusqu'alors comme véritables, ainsi que de la fragilité des principes sur lesquels il s'était jusqu'ici appuyé, que Descartes décide de se défaire de tout ce qu'il a pu prendre pour vrai, et de "commencer de nouveau dès les fondements" afin d' "établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences"[3].

Descartes a besoin d'une vérité qui ne peut être remise en doute, afin de construire une connaissance certaine. Il faut donc douter de tout, et chercher quelque chose qui résiste au doute, quelque chose qui ne peut pas ne pas être vraie.

 

Ainsi, dans le Discours de la méthode (cf. texte de la 4e partie), Descartes passe par trois étapes de remise en cause :

 

  1. Il arrive que les sens nous trompent. Par conséquent, il est impossible de leur faire entièrement confiance

→ il faut rejeter les connaissances acquises par les sens (provisoirement du moins), car le monde qu'ils nous montrent n'est peut-être qu'un trompe l'œil.

 

  1. Il arrive que l'on se trompe en raisonnant (par exemple en faisant des mathématiques). Par conséquent, il est impossible de se fier avec certitude à sa faculté de penser.

→ il faut rejeter toutes les démonstrations que l'on prenait jusque là pour vraies.

 

  1. Il arrive qu'en dormant, je croie à la réalité de mes rêves sans que cela soit vrai néanmoins. Par conséquent, qu'est-ce qui m'affirme que je ne vis pas un rêve perpétuel, et que la réalité n'est qu'illusion ?

→ il faut rejeter l'existence même du monde.

 

Une fois arrivé à cette étape du doute, Descartes prend conscience qu'il faut nécessairement que lui soit quelque chose lorsqu'il doute, quand bien même il douterait de tout.

Autrement dit, dans l'effondrement général et méthodiquement orchestré des certitudes, c'est une "vérité certaine" qui est trouvée :

 

"Je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucun esprit, ni aucun corps ; ne me suis-je donc pas persuadé que je n'étais point ? Non, certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose{C}[4]{C}".

 

Ainsi donc, "l'être ou l'existence de la pensée" constitue "le premier principe de la métaphysique". "Je suis", cette évidence tient dans le simple fait de penser quelque chose, qui recèle en lui ce fait qui est celui de le pensée. Mais attention, il ne faut pas entendre le "je pense" de Descartes comme synonyme de "je réfléchis". Si tel était le cas, sa phrase perdait en effet tout son sens. Par pensée, Descartes entend en effet tout ce qui relève de la conscience (ce que je sens) :

 

"Malgré tout, il me semble voir, il me semble entendre, il me semble avoir chaud, cela ne peut être faux ; cela est, au sens propre, ce qui en moi s'appelle sentir ; et cela, considéré dans ces limites précises, n'est rien d'autre que penser"{C}[5]{C}.

 

"Par le mot de penser j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser"{C}[6]{C}.

 

Descartes constate alors qu'à travers les différentes formes de pensée, c'est toujours le même être qui pense. C'est "moi" qui doute, qui affirme, qui nie, qui veut. C'est donc toujours le même "sujet" qui subsiste à travers les différentes expériences de pensée.

 

→ Cf. texte de Descartes, Méditations métaphysiques (1641), "Méditation seconde", § 9.

 

Ainsi, on peut dire que pour Descartes, la conscience que le sujet a de lui-même est la première des vérités. Mais qu'est-ce que cette conscience ?

 

Remarque : pour Damasio, à l'inverse de Descartes, "le fait d'exister a précédé celui de penser"{C}{C}[7]{C}. Pour lui, nous sommes, et ensuite nous pensons, et nous ne pensons que dans la mesure où nous sommes, puisque la pensée découle, en fait, de la structure et du fonctionnement de l'organisme.

 

2.Toute conscience est conscience de quelque chose

 

Il arrive que l'on dise que l'on ne pense à rien. Pourtant, en disant cela, on pense encore à quelque chose. Par définition en effet, la conscience est, sous peine de cesser d'être, conscience de quelque chose. Elle n'a rien à savoir en particulier pour être une conscience, mais elle ne peut pas n'avoir conscience de rien. Car comme l'énonce Husserl[8] :

 

"Toute conscience est toujours conscience de quelque chose".

 

→ Cf. texte de Husserl, Méditations cartésiennes, II, 14

ou André Dartigues, Qu'est-ce que la phénoménologie ?, p. 23-24.

 

Toute conscience est en réalité "objectivation" de quelque chose, car la conscience a nécessairement un objet. Il y a dans toute conscience une "intentionnalité"{C}[9]{C}, c'est-à-dire que toute conscience est visée de quelque chose ; toute conscience se projette vers quelque chose. La conscience n'estdonc pas passive mais toujours active. La conscience est un effort d'attention qui se concentre autour d'un objet.

 

→ la conscience est conscience des objets qu'elle vise.

 

Cette concentration est structurée par l'expérience ou par des catégories a priori de l'entendement, structures que l'on considère parfois comme les fondements de toute connaissance du monde extérieur. Autrement dit, à la question de savoir quelles relations la conscience entretient avec la réalité en général, une description phénoménologique répond que celle-ci a une structure spatiale et temporelle, structure qui est une organisation des concepts qui concernent notre expérience du monde et nous-mêmes en tant qu'acteurs de ce monde.

 

Cette idée que la conscience est avant tout visée va amener Sartre à critiquer la notion d'identité.

 

{C}3.{C}La critique sartrienne de l'identité.

 

Selon Sartre, l'homme est cet "Être qui est ce qu’il n’est pas et qui n’est pas ce qu’il est"{C}{C}[10]{C}{C}. L'homme est ce qu'il n'est pas : son projet (donc ce qu'il n'est pas encore), et il n'est pas ce qu'il est, parce qu'il s'en sépare en en prenant conscience. Autrement dit, la conscience nous prive d'identité.

Par exemple, un homme qui a fait du mal et qui se perçoit comme méchant est-il méchant ? On peut dire qu'à la fois il l'est et ne l'est pas. Il l'est dans la mesure où il a effectivement commis certains actes, eu certaines intentions. Mais il ne l'est pas dans la mesure où il objective cette méchanceté, c'est-à-dire qu'il la met à distance de lui ; il montre qu'il ne s'identifie pas à elle. Autrement dit, par la conscience, nous sommes toujours autre que ce nous sommes et dans l'ambiguïté quant à ce que nous sommes.

 

Pour Sartre, la conscience n'est pas ce qu'elle est et est ce qu'elle n'est pas dans la mesure où elle se choisit constamment. L'homme est ce qu'il a conscience d'être, mais :

 

"L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait"[11].

 

→ l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être ≠ voudra être

 

L'homme est ce qu'il veut, et ce que l'on veut s'exprime dans ce que nous faisons. "Seuls les actes décident de ce qu'on a voulu"[12]. On peut donc dire qu'avec Sartre, nous sommes ce que nous faisons. Notre être se confond avec nos actes.

 

Cf. texte tiré de Huis-clos, scène 5, Folio, p. 89-90

 

Étant ce qu'il a projeté d'être, l'homme est donc responsable de ce qu'il est. C'est pourquoi selon Sartre, l'homme est condamné à être libre. Il est entièrement responsable de ce qu'il fait.

la conscience signifie la liberté. Le sujet est par définition un sujet libre.

Refuser sa liberté, nier celle-ci, c'est en fait fuir ses responsabilités,c'est être un "lâche" et ne pas assumer sa condition d'être humain.

Ainsi, Sartre analyse la perte de conscience comme une évasion du sujet. Perdre conscience, c'est un moyen de ne pas avoir à faire face.

 

Définir l'homme par la conscience, c'est faire de lui un être libre et responsable de ce qu'il fait. Toutefois, Freud va remettre en cause la maîtrise de l'homme sur lui-même en montrant que l'homme est gouverné dans ses actions par des pensées, des désirs dont il n'a pas conscience.


[1] Essai sur l'entendement humain, II, 27, 9.

{C}[2]{C} Karl Popper, L'avenir est ouvert (1983), trad. J. Étoré, Champs Flammarion, 1995, p. 102.

[3] Première méditation.

[4] Méditations métaphysiques, Seconde méditation

[5] Méditations métaphysiques, Seconde méditation

[6] Les principes de la philosophie, Première partie, § 9.

[7] L'erreur de Descartes, p. 335.

{C}[8]{C} Déjà Mansel exprimait cette idée en 1858 dans Limites de la pensée religieuse (cité par Spencer dans ses Premiers principes, Chap. 3 : Relativité de toute connaissance) : "La conception même de la conscience, quel que soit son mode de manifestation, implique nécessairement la distinction entre un objet et un autre objet. Pour être conscients, il faut que nous soyons conscients de quelque chose et ce quelque chose ne peut être connu comme ce qu'il est, qu'en étant distingué de ce qu'il n'est pas.[…] Une seconde caractéristique de la conscience, c'est qu'elle est seulement possible sous forme de relation. Il faut qu'il y ait un sujet ou personne consciente et un objet ou chose dont le sujet est conscient. Il ne peut pas y avoir conscience sans l'union de ces deux facteurs et, de cette union, chacun d'eux n'existe que comme étant en rapport avec l'autre. Le sujet n'est sujet qu'en tant qu'il est conscient d'un objet ; l'objet n'est objet qu'en tant qu'il est perçu par un sujet : la destruction de l'un ou de l'autre est la destruction de la conscience elle-même". p. 53

On peut même remonter à Leibniz, lequel écrit dans ses Animadversiones… ad § 7, G. IV, p. 357 : "Je ne suis pas seulement conscient de moi comme pensant, mais aussi du contenu de mes pensées, et il n'est pas plus certain que je pense, qu'il ne l'est que ceci ou cela fait l'objet de mes pensées." Ou encore : "Toute pensée est pensée de quelque chose" in Annotation à une lettre d'Eckhardt, mai 1677, G. I, p. 237.

{C}[9]{C} En fait, c'est Franz Brentano (1858-1917) qui a repris le concept d'intentionnalité aux scolastiques, et l'a remis sur le devant de la scène.

{C}[10]{C} L'Être et le néant, NRF, Gallimard, p. 287.

{C}[11]{C} L'existentialisme est un humanisme, pp. 29-30.

{C}[12] Huis-clos, scène 5, Folio, pp. 89-90

 


Date de création : 05/07/2010 @ 15:29
Dernière modification : 01/07/2014 @ 14:54
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