"Le terme science normale désigne la recherche fermement accréditée par une ou plusieurs découvertes scientifiques passées, découvertes que tel groupe scientifique considère comme suffisantes pour fournir le point de départ d'autres travaux. [...] [Celles-ci] étaient suffisamment remarquables pour soustraire un groupe cohérent d'adeptes à d'autres formes d'activité scientifique concurrentes ; d'autre part, elles ouvraient des perspectives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre.
Les découvertes qui ont en commun ces deux caractéristiques, je les appellerai désormais paradigmes, terme qui a des liens étroits avec celui de science normale. En le choisissant, je veux suggérer que certains exemples reconnus de travail scientifique réel, exemples qui englobent une loi, une théorie, une application et un dispositif expérimental - fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique, celles par exemple que les historiens décrivent sous les rubriques d' « Astronomie de Ptolémée » (ou de Copernic), « Dynamique aristotélicienne » (ou newtonienne), « Optique corpusculaire » (ou optique ondulatoire), etc. […] Les hommes dont les recherches sont fondées sur le même paradigme obéissent aux mêmes règles et aux mêmes normes dans la pratique scientifique. Cet engagement et l'accord apparent qu'il produit sont les préalables nécessaires de la science normale, c'est-à-dire de la genèse et de la continuation d'une tradition particulière de recherche.
[…] Ces transformations successives des paradigmes [...] sont des révolutions scientifiques et le passage d'un paradigme à un autre par l'intermédiaire d'une révolution est le modèle normal du développement d'une science adulte."
Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques (1962), Flammarion, « Nouvelle Bibliothèque Scientifique », 1972, p. 26-28.
Retour au menu sur la science