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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Science et réalité

  "Nous donner la possibilité de prévoir des expériences futures afin que nous puissions organiser nos actions présentes d'après cette prévision : telle est prochaine tâche de notre connaissance consciente de la nature et, dans un certain sens, sa tâche la plus importante. Les expériences antérieures, qu'elles résultent d'observations fortuites ou de tentatives volontaires, serviront en toute circonstance de fondement pour résoudre ce problème de la connaissance. Pour déduire le futur du passé et atteindre à la prescience désirée, cependant, nous procédons toujours de la façon suivante : nous créons des représentations intérieures imaginaires ou des symboles des objets extérieurs et nous les façonnons de manière que les conséquences intellectuellement nécessaires des images soient toujours les images des conséquences naturellement nécessaires des objets représentés. Pour que cette exigence puisse être satisfaite, il doit exister une certaine conformité de notre esprit à la nature. L'expérience nous enseigne que cette exigence peut être satisfaite et donc qu'une telle conformité existe effectivement. Lorsqu'on a réussi à constituer, à partir de l'expérience accumulée jusqu'à présent, des images de la qualité désirée, on peut en peu de temps développer sur elles, comme sur des maquettes, les conséquences qui ne se manifesteront dans le monde extérieur que dans un avenir lointain ou par suite de notre intervention; ainsi nous avons la possibilité de devancer les faits et d'orienter nos décisions présentes en fonction de la connaissance acquise.
  Les images dont nous parlons sont la représentation que nous nous faisons des choses ; elles sont conformes aux objets par un point essentiel, à savoir que l'exigence énoncée est satisfaite, mais leur fin ne nécessite pas d'autre conformité aux choses. En fait, nous ignorons, et n'avons aucun moyen de découvrir, si la représentation que nous nous faisons des choses est conforme à celles-ci en aucun point autre que cet unique rapport fondamental. Incontestablement, les images que nous voulons nous faire des choses ne sont pas encore déterminées par l'exigence qui veut que les conséquences des images soient de nouveau les images des conséquences. Il y a plusieurs images possibles pour un même objet et ces images peuvent différer sous plusieurs aspects. Dès le départ, nous devrions désigner toute image comportant une contradiction aux lois de notre raisonnement comme étant inadmissible et nous exigeons donc en premier lieu que toutes nos images soient logiquement admissibles ou admissibles tout court. Nous disons qu'une image admissible est inexacte lorsque ses rapports essentiels sont en contradiction avec les rapports des objets extérieurs, c'est-à-dire quand elle ne satisfait pas à cette première exigence fondamentale. Deuxièmement, il faut que nos images soient exactes. Mais deux images acceptables et exactes du même objet extérieur peuvent encore différer par leur utilité. Étant donné deux images d'un même objet, la plus utile sera celle qui reflète plus de rapports essentiels de l'objet que l'autre, disons la plus distincte. Si les images sont également distinctes, la plus utile des deux sera celle qui comportera, outre les traits essentiels, le plus petit nombre de rapports superflus ou insignifiants, donc la plus simple. On ne pourra éviter tout rapport insignifiant, car il en incombe déjà aux images du fait qu'elles sont seulement images, créées par notre esprit particulier et donc déterminées aussi par sa manière de représenter les choses.
  Nous venons d'énumérer ce que nous exigeons des images elles-mêmes, les exigences que nous avons pour l'exposé scientifique de telles images sont tout autre chose. Nous lui demandons de nous montrer distinctement quelles sont les propriétés incluses dans l'image à des fins d'admissibilité ou d'exactitude ou d'utilité. La possibilité de modifier, d'améliorer nos images, dépend de cela. Les éléments inclus dans les images à des fins d'utilité sont contenus dans les désignations, définitions, abréviations, en un mot dans ce que nous pouvons y ajouter ou en retrancher de façon arbitraire. Les caractères inclus dans les images à des fins d'exactitude sont contenus dans les faits expérimentaux qui ont servi à leur élaboration. Ce qui appartient aux images à des fins d'admissibilité est donné par les propriétés de notre esprit. Nous pouvons trancher la question de l'admissibilité d'une image par un oui ou un non incontestables et notre décision restera définitivement valable. On peut également se prononcer de façon incontestable sur l'exactitude d'une image, mais cette décision ne vaut que pour l'état actuel de nos connaissances, étant admis qu'elle peut être révisée à la lumière d'expériences ultérieures. L'utilité d'une image ne peut être décidée de façon certaine; des opinions divergentes peuvent exister en cette matière. Chacune des images peut offrir des avantages sous un certain aspect et seul un examen progressif de nombreuses images permet d'obtenir en fin de compte celles qui sont les plus utiles.
  Tels sont, me semble-t-il, les points de vue d'après lesquels il faut juger la valeur des théories physiques et de leur exposé. En tout cas, ce sont les points de vue que nous appliquerons maintenant aux différents exposés des principes de la mécanique. Il faut évidemment préciser en premier lieu ce que nous entendons par ce terme.
  Au sens strict, on entendait à l'origine par principe de la mécanique tout énoncé que l'on ne ramenait pas à d'autres propositions de la mécanique elle-même, mais que l'on voulait considérer comme découlant directement d'autres sources de connaissance. Étant donné l'évolution historique, des propositions désignées à juste titre comme étant des principes, à une certaine époque et dans des conditions données, ne pouvaient manquer de conserver ce nom par la suite, bien que ce fût à tort. Depuis Lagrange, on a souvent répété que les principes du centre de gravité et des surfaces n'étaient au fond que des propositions didactiques de contenu général. On peut cependant faire la remarque, tout aussi juste, que le reste des prétendus principes ne peuvent porter ce nom indépendamment les uns des autres, et que chacun d'entre eux retombe au rang d'une déduction ou d'une proposition didactique, dès que l'exposé de la mécanique est fondé sur un ou plusieurs des autres principes. La notion de principe mécanique n'est donc pas nettement déterminée. Aussi maintiendrons-nous la dénomination coutumière .de ces propositions dans le cas d'énoncés particuliers; mais lorsque nous parlerons des principes de la mécanique en général, ce terme ne désignera pas ces propositions concrètes mais n'importe quelle sélection de telles propositions ou de propositions analogues, à la condition qu'on puisse en déduire toute la mécanique sans avoir d'autre recours à l'expérience.
  Désignées de cette manière, les notions fondamentales de la mécanique et les principes qui les lient représentent l'image simple que la physique peut donner des choses, du monde sensible et de ses événements. Et comme nous pouvons exposer les principes de la mécanique de plusieurs façons différentes, en sélectionnant différemment les propositions fondamentales, nous obtenons des images différentes des choses et pouvons les examiner et les comparer quant à leur admissibilité, leur exactitude et leur utilité."

 

Heinrich Hertz, Principes de la Mécanique, 1876, Introduction.



 
 "Cette harmonie que l'intelligence humaine croit découvrir dans la nature, existe-t-elle en dehors de cette intelligence ? Non, sans doute, une réalité complètement indépendante de l'esprit qui la conçoit, la voit ou la sent, c'est une impossibilité. Un monde si extérieur que cela, si même il existait, nous serait à jamais inaccessible. Mais ce que nous appelons la réalité objective, c'est, en dernière analyse, ce qui est commun à plusieurs êtres pensants, et pourrait être commun à tous ; cette partie commune [...] ce ne peut être que l'harmonie exprimée par des lois mathématiques.
 C'est donc cette harmonie qui est la seule réalité objective, la seule vérité que nous puissions atteindre ; et si j'ajoute que l'harmonie universelle du monde est la source de toute beauté, on comprendra quel prix nous devons attacher aux lents et pénibles progrès qui nous la font peu à peu mieux connaître."
 
Henri Poincaré, La Valeur de la science, 1905, Introduction, Champs Flammarion, 1970, p. 23-24.


  "Je me suis mis en devoir de rédiger ces leçons et j'ai approché mes chaises de mes deux tables. Deux tables ! Oui ; il y a des doubles de tout objet autour de moi – deux tables, deux chaises, deux stylos. […]
  L'une [des tables] m'a été familière depuis les premières années. C'est un objet commun de cet environnement que j'appelle le monde. Comment dois-je le décrire ? Il a une extension ; il est comparativement permanent ; il est coloré ; par-dessus tout, il est substantiel. Par substantiel, je n'entends pas simplement qu'il ne s'effondre pas quand je m'appuie sur lui ; j'entends qu'il est constitué de "substance" et par ce mot j'essaie de vous communiquer une certaine conception de sa nature intrinsèque. C'est une chose ; pas comme l'espace, qui est une pure négation ; pas non plus comme le temps qui est –Dieu sait quoi ! […]
  La table n° 2 est ma table scientifique. C'est une connaissance plus récente et je ne me sens pas familier avec elle. Elle n'appartient pas au monde mentionné précédemment – le monde qui apparaît spontanément quand j'ouvre les yeux […]. Elle fait partie d'un monde qui s'est imposé à mon attention par des chemins plus détournés. Ma table scientifique est faite pour la plus grande part de vide. Répandues de façon clairsemée dans ce vide, on trouve de nombreuses charges électriques qui courent ça et là avec une grande vitesse ; mais leur masse combinée revient à moins d'un billionième de la masse de la table. Malgré sa construction étrange, elle se révèle être une table tout à fait performante. Elle supporte le papier sur lequel j'écris de façon aussi satisfaisant que la table n° 1 ; car quand je pose le papier sur elle, les petites particules électriques avec leur vitesse impétueuse continuent à frapper le dessous de la feuille, de sorte que le papier est maintenu à la façon d'un volant à un niveau à peu près constant. Si je m'appuie sur cette table, je ne passerai pas à travers ; ou, pour être tout à fait exact, la probabilité pour que mon coude scientifique passe à travers ma table scientifique est si excessivement faible qu'elle peut être négligée dans la vie pratique."

 

Arthur Stanley Eddington, La Nature du monde physique, 1929.


 

  "C'est en réalité tout notre système de conjectures qui doit être prouvé ou réfuté par l'expérience. Aucune de ces suppositions ne peut être isolée pour être examinée séparément. Dans le cas des planètes qui se meuvent autour du soleil, on trouve que le système de la mécanique est remarquablement opérant. Nous pouvons néanmoins imaginer un autre système, basé sur des suppositions différentes, qui soit opérant au même degré.
  Les concepts physiques sont des créations libres de l'esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l'effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l'homme qui essaie de comprendre le mécanisme d'une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n'a aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S'il est ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu'il rendra responsable de tout ce qu'il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d’expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d’une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu'à mesure que ses connaissances s’accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l'existence d'une limite idéale de la connaissance que l'esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective."
 
Albert Einstein et Léopold Infeld, L'Évolution des idées en physique, 1938, tr. fr. Maurice Solovine, Flammarion, Champs, 1982, p. 34-35.

 
  "La science n'est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. Elle est une création de l’esprit humain au moyen d'idées et de concepts librement inventés. Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi, nos constructions mentales se justifient seulement si, et de quelle façon, nos théories forment un tel lien. […]
  Un des concepts les plus primitifs est celui d'objet. Les concepts d'arbre, de cheval, ou d'un corps matériel quelconque, sont des créations qui reposent sur la base de l'expérience, bien que les impressions dont ils proviennent soient primitives en comparaison du monde des phénomènes physiques. Un chat qui taquine une souris se crée aussi, par la pensée, une réalité primitive. Le fait que le chat réagit toujours de la même manière contre n'importe quelle souris qu'il rencontre indique qu'il forme des concepts et des théories qui le guident à travers son propre monde d'impressions sensibles.
  « Trois arbres » c'est quelque chose de différent de « deux arbres ». D'autre part, « deux arbres » et « deux pierres » sont des choses différentes. Les concepts des nombres purs 2, 3, 4…, dégagés des objets qui leur ont donné naissance, sont des créations de l'esprit pensant, qui décrivent la réalité de notre monde.
[…]
 La réalité créée par la physique moderne est, en effet, très loin du début de la science. Mais le but de toute théorie physique reste toujours le même.
  À l’aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d'ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu'il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l'harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l'éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l'harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s'opposent à notre compréhension."
 
Albert Einstein et Léopold Infeld, L’Évolution des idées en physique, 1938, tr. fr. Maurice Solovine, Champs Flammarion, 1982, p. 274-276.


  "Le but, c'est la création d'une image du monde avec des éléments réels qui  n'aient plus à réclamer de perfectionnement et représentent ainsi l'ultime réalité. L'acquisition effective de ce but ne sera ni ne pourra jamais être nôtre. Mais, en vue de pouvoir au moins lui donner un nom, et pour le moment, nous appelons la réalité ultime « le monde réel »[1], dans le sens absolu, métaphysique, du mot réel. Ce que l'on doit interpréter comme exprimant le fait que le monde réel – en d'autres termes, la nature objective – se dresse derrière tout ce qui est explorable. Par opposition à ceci, la représentation scientifique du monde obtenue par notre expérience – le monde phénoménologique[2] – demeure toujours une simple approximation, un modèle plus ou moins entrevu. [...] Car la grande merveille de l’image scientifique du monde, devenant progressivement plus complète et plus parfaite, pousse nécessairement l'investigateur à rechercher sa forme ultime. [...] Cette ferme croyance au réel absolu dans la nature est ce qui constitue pour lui les prémisses immédiates, évidentes de son travail, elle fortifie à maintes reprises, son espoir d'approcher enfin d'encore un peu plus près l'essence de la nature objective et ainsi de pouvoir forcer davantage ses secrets.
  […] Mais en même temps, nous saisissons ici un aperçu des frontières que les sciences exactes sont incapables de franchir. Si profonds que soient jamais leurs résultats, si loin qu'ils aillent, elles ne peuvent jamais réussir à faire le dernier pas qui les ferait entrer au royaume de la métaphysique. Le fait que – quoique nous nous sentions inévitablement contraints de postuler l'existence d'un monde réel, au sens absolu – nous ne puissions jamais pleinement comprendre sa nature, constitue l'élément irrationnel dont la science ne peut jamais se défaire [...]

  La recherche scientifique [...] doit tourner et continuellement maintenir son regard sur la réalité objective qu'elle poursuit. [...] Pourtant le monde réel de la métaphysique n'est pas le point de départ mais le but de toute entreprise scientifique, un phare qui nous fait signe et nous montre le chemin, depuis une distance si grande qu'elle est inaccessible."

 

Max Planck, Autobiographie scientifique et derniers écrits, 1945, tr. fr. A. George, Albin Michel, 1960, p. 145.


[1] C'est le postulat du réalisme selon lequel il existe une réalité indépendante de nous. Le contraire est l'idéalisme qui affirme qu'il n'existe de réalité que pour un esprit capable de la percevoir.
[2] Le monde tel qu'il nous apparaît dans l'expérience.


 

  "En tout état de cause, c'est en plongeant sous la surface des phénomènes familiers que les sciences de la nature ont obtenu leurs vues les plus profondes et de la portée la plus grande ; il n'est donc pas surprenant que certains penseurs considèrent les structures, les forces et les processus sous-jacents dont les théories bien établies supposent l'existence comme les seuls éléments réels qui constituent le monde. Telle est la conception qu'exprime Eddington dans l'introduction provocante de son livre : La nature du monde physique. Eddington commence en confiant à ses lecteurs que, quand il s'installa pour écrire son livre, il avança ses deux fauteuils vers ses deux tables ; et il poursuit en exposant les différences entre les tables ; « l'une d'elles m'a été familière dès mon plus jeune âge. […] Elle est étendue une extension ; elle a une relative permanence ; elle est colorée ; et surtout, elle est substantielle. […] La table n° 2 est ma table scientifique. C'est une connaissance plus récente et je ne me sens pas familier avec elle. Elle […] est composée essentiellement de vide. Dispensées avec parcimonie dans ce vide se trouvent de nombreuses charges électriques qui se meuvent à grande vitesse ; mais leur masse compacte occuperait moins d'un milliardième du volume de la table elle-même. Néanmoins, elle supporte le papier sur lequel j'écris de façon aussi satisfaisant que la table n° 1 ; car, quand je pose le papier sur elle, les petites particules électriques, animées d'une grande vitesse la soutiennent par dessous, de sorte que le papier est maintenu à un niveau pour ainsi dire constant à la façon d'un volant… Il y a une différence essentielle qui est la suivante : le papier devant moi plane-t-il comme s'il était sur un essaim de mouches […] ou est-il soutenu parce qu'il y a sous lui une substance, la nature intime d'une substance consistant à occuper un espace dont toute autre substance est exclue. […] Je n'ai pas besoin de vous dire que la physique moderne m'a, par des preuves délicates et par une logique impeccable, convaincu que ma seconde table, la table scientifique, est la seule qui soit là réellement […] En revanche, je n'ai pas besoin de vous dire que la physique moderne ne réussira jamais à exorciser la première table – étrange mélange de nature extérieure, d'images mentales et de préjugés hérités – car elle est là, visible aux yeux et sensible au toucher ».
  Mais cette conception, si persuasive qu'en soit l'exposition est insoutenable ; car expliquer un phénomène n'est pas expliquer sa dissolution. Ce n'est ni le but, ni l'effet des explications théoriques de montrer que les choses et les événements familiers de notre expérience de tous les jours ne sont pas « réellement là »."

 

Carl Hempel, Éléments d'épistémologie, 1966, Chapitre 6, tr. fr. Bertrand Saint-Sernin, Armand Colin, 1996, p. 121-122.


 

 "Du point de vue que je souhaite défendre, le monde physique est tel que nos théories physiques actuelles lui sont applicables à un degré ou à un autre, et, en général, à un degré supérieur à celui des théories précédentes, ceci tout au moins pour la plupart de ses aspects. Le but de la physique sera d'établir des limites à l'application des théories actuelles et de développer des théories qui sont applicables au monde avec un plus grand degré d'approximation dans une grande variété de circonstances. J'appellerai ce point de vue réalisme non figuratif.
 Le réalisme non figuratif est réaliste en deux sens. Premièrement, il contient l'hypothèse que le monde physique est ce qu'il est, indépendamment de la connaissance que nous en avons. Le monde est ce qu'il est, quoi que puissent en penser les individus ou les groupes. Deuxièmement, il est réaliste parce qu'il contient l'hypothèse que, dans la mesure où les théories sont applicables au monde, elles le sont toujours, à l'intérieur comme à l'extérieur de toute situation expérimentale. Les théories physiques sont plus que de simples affirmations sur les corrélations entre séries d'énoncés d'observation. Le réalisme dont je parle est non figuratif dans la mesure où il ne contient pas une théorie de la correspondance de la vérité avec les faits. Le réaliste non figuratif ne suppose pas que nos théories décrivent des entités dans le monde, comme les fonctions d'onde ou les champs, à la manière dont le sens commun comprend que notre langage décrit les chats et les tables. Nous pouvons évaluer nos théories selon le critère de leur degré de réussite à saisir un aspect du monde, mais nous ne pouvons pas aller au-delà et évaluer le degré auquel elles parviennent à décrire le monde tel qu'il est réellement, pour la bonne raison que nous n'avons pas accès au monde indépendamment de nos théories d'une façon qui nous permettrait de juger l'adéquation de ces descriptions."
 
Alan F. Chalmers, Qu’est-ce que la science?, Récents développements en philosophies des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, 1982, Paris, Livre de Poche, 1987, p. 257-258.

 

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Date de création : 21/11/2010 @ 14:32
Dernière modification : 04/04/2023 @ 14:06
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