"Notre durée est irréversible […]. Ainsi notre personnalité pousse, grandit, mûrit sans cesse. Chacun de ses moments est du nouveau qui s'ajoute à ce qui était auparavant. Allons plus loin : ce n'est pas seulement du nouveau, mais de l'imprévisible […] C'est un moment original d'une non moins originale histoire.
Le portrait achevé s'explique par la physionomie du modèle, par la nature de l'artiste, par les couleurs délayées sur la palette ; mais même l'artiste n'eût pu prévoir exactement ce que serait le portrait, car le prédire eût été le produire avant qu'il fût produit, hypothèse absurde qui se détruit elle-même.
Ainsi pour les moments de notre vie, dont nous sommes les artisans. Chacun d'eux est une espèce de création."
Henri Bergson, L'Évolution créatrice, 1907, Chapitre I, PUF, 1998, p. 6-7.
"Nous avons beau recommencer tous les matins en nous levant, les mêmes gestes – et à les considérer analytiquement, ils sont innombrables – nous avons quand même la sensation nette que le réveil est réellement « un réveil », un réveil qui nous annonce le début d’une journée « nouvelle », non seulement d’une journée numériquement différente des précédentes, mais encore d'une journée que nous allons vivre. Et cette sensation se maintiendra au cours de cette journée, en dépit de tout ce que celle-ci peut avoir de semblable avec celles qui l’ont précédée. Dans l'espace nous cherchons le semblable et l’identique, dans le temps nous vivons le nouveau et le dissemblable. Rares sont les journées qui « marquent » réellement dans notre vie ; il n’empêche qu. Chacune d'elles est une « nouvelle » journée pour nous, elle ne saurait ne pas « marquer » dans ce sens et c'est ainsi que la succession de ces journées arrive à constituer ce que nous pouvons appeler la perspective dans le temps. Et si, dans certaines conditions, la monotonie de la vie est ressentie de façon pénible, nous avons en nous un phénomène particulier pour le traduire ; c'est l'ennui, l'ennui qui est loin d'être dénué de vie, puisqu'il cache le désir qu'il en soit autrement."
Eugène Minkowski, Le Temps vécu, 1933, PUF, 1995, p. 312-313.
Retour au menu sur l'existence et le temps