"Le droit étatique externe concerne la relation réciproque qui lie, par l'entremise de leurs gouvernements, des peuples indépendants, et il repose avant tout sur des traités particuliers : droit international.
Éclaircissement. Entre eux, les États se trouvent plutôt dans un état de nature que dans un état de droit. C'est pourquoi la lutte est incessante entre eux, ce qui les oblige à conclure des traités et à se situer ainsi vis-à-vis les uns des autres dans un état de droit. Mais, d'un autre côté, ils sont pleinement autonomes et indépendants les uns des autres. Le droit entre eux n'est donc pas effectif. Ils peuvent ainsi rompre arbitrairement les traités et conservent nécessairement, à cet égard, une certaine méfiance réciproque. En tant qu'essences naturelles, ils usent entre eux de violence pour conserver leur droit ; il leur faut imposer eux-mêmes leur droit et, par conséquent, se faire la guerre les uns aux autres."
Hegel, Propédeutique philosophique, 1809-1811, Doctrine du droit, § 31, Trad. Maurice de Gandillac, Éditions De Minuit, 1997, p. 58-59.
"Il n'y a aucune différence de nature entre le droit international et les ordres juridiques étatiques. Comme eux il est un système de normes réglant l'emploi de la contrainte, c'est-à-dire prescrivant ou permettant d'exécuter un acte de contrainte pour sanctionner un comportement illicite. Le droit international connaît deux sanctions spécifiques, la guerre et les représailles, mais il se trouve à un stade de développement dépassé depuis longtemps par les ordres étatiques. Si l'on considère plus spécialement le droit international général, à savoir la communauté internationale dans son ensemble, on constate l'absence d'organes spécialisés pour la création et l'application des normes juridiques. La décentralisation est complète. Les normes générales sont créées par la voie de la coutume ou par celle de traités, donc par les membres eux-mêmes de la communauté internationale et non par un organe législatif centralisé. Il en va de même pour l'application des normes générales aux cas concrets. Il appartient à l'État qui s'estime lésé dans ses intérêts de décider s'il est victime d'un comportement illicite entraînant la responsabilité d'un autre État. Si ce dernier conteste avoir eu un tel comportement, il n'y a pas d'autorité indépendante des parties pour résoudre le différend dans le cadre d'une procédure fixée par le droit. L'État lésé est autorisé à réagir contre l'État qu'il tient pour responsable en recourant à des représailles ou à la guerre, c'est-à-dire à des actes de contrainte admis par le droit international général.
Cette technique juridique, dite de la justice privée, était celle des droits étatiques au début de leur développement. Elle applique le principe de la responsabilité collective fondée sur le résultat et non celui de la responsabilité individuelle fondée sur la faute. La sanction n'est pas dirigée contre l'individu qui, en sa qualité d'organe de l'État, a commis un acte illicite, intentionnellement ou par négligence, mais contre d'autres individus qui n'ont pris aucune part à cet acte et n'étaient pas en mesure de l'empêcher. Les représailles et la guerre n'atteignent pas les organes étatiques qui ont violé le droit international par des actions ou des abstentions imputables à l'État ; elles frappent l'ensemble des habitants de cet État ou du moins les membres de son armée, pour autant que la technique moderne de la guerre permette encore de faire une distinction entre l'armée et le reste de la population."
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1953, Ad. Henri Thévenaz, Éd. De La Baconnière, p. 178-179.